samedi 9 juillet 2016
Ma vie dans l'écriture
"Que fais-tu dans la vie ?" est la question la plus perfide que l'on puisse se voir adresser. Car on ne peut pas répondre : "Je ne fais rien" ou "j'écris". Mon ami de plume dont j'ai tout appris, de la poésie au chant grégorien, comme nous le recevions un jour à table, nous dit tout d'un coup : "Au fond, j'aurai écrit toute ma vie et écrire m'aura aidé à vivre." Je ne peux pas raconter ma vie, mais je peux raconter ma vie dans l'écriture.
J'écris depuis l'âge de dix ans. J'ai commencé par des pastiches de Pagnol ou de Molière en ne sachant pas qu'on préférait toujours l'original à la copie et que mes copies n'étaient pas originales. Je n'ai jamais eu de livre-culte, mais je voulais devenir Proust.
Du moins, à cette époque, j'avais de l'imagination. Je l'ai perdue à force de boire. L'alcool a été ma madeleine de Proust. Quand on boit, on perd l'imaginatiion, pas la mémoire. Bien au contraire, les vannes de la mémoire s'ouvrent, désinhibées, et on se souvient de tout. Pas au point de raconter sa vie, ça n'aurait aucun sens. On ne peut rien tirer de général de sa biographie. J'écris pour me décloisonner, mais pas au point de tout dire. Les gens heureux n'ont pas d'histoire, mais les gens qui ont trop d'histoire n'ont que de la fierté. La mémoire n'est pas faite pour le bonheur, mais pour la nostalgie.
J'ai commencé par écrire des œuvres d'imagination et à onze ans, je racontais ma conversion. Je voulais écrire avant d'avoir lu, je n'ai pas changé. J'écris pour penser, pas pour faire des phrases.
J'ai passé un bac littéraire et suis monté à Paris pour suivre des études à la Sorbonne. Ma déconvenue fut immédiate quand je m'aperçus, dès le premier cours, qu'on y vouait un culte aux grands morts et rien au-delà. J'aurais voulu avoir écrit LES SOUFFRANCES DU JEUNE WERTHER, mais Göthem'avait piquél'idée. Je connus ma traversée du désert.
Un soir, en revenant de dîner à Montmartre avec une amie compositrice qui avait abandonné la musique par mysticisme, je me remis à écrire frénétiquement dans mon journal. J'avais retrouvé la consolation de l'écriture existentielle, mais je voulais qu'elle fût adressée. J'entrepris d'écrire une apologie de la religion chrétienne sans savoir que Pascal y avait pensé avant moi. La mort ne m'arrêta pas comme lui, mais j'échouais. De cet échec, ne me resta que l'idée qu'on aime Dieu à partir de soi-même, et je voulus déployer mon univers pour Le prouver.
J'ai toujours été diariste, c'est ma meilleure part. Les trois tomes de mon journal politique étant bien avancés, j'ouvris mon journal intuitif. Je ne savais comment l'organiser, j'optai pour un abécédaire. J'ai toujours eu des idées simples que je trouvais sous la torture, d'où mon expression tortueuse.
Mes aphorismes ont été taillés dans mon journal intuitif. Ils en sont une miniature. J'ai organisé une progression thématique pour catéchiser mon psychisme. Ils déploient l'apologie d'un mental et l'univers de mes pensées. Ils sont ma doctrine, ma biographie sera ma Bible : la chronique de tous les destins constitue le Livre de vie. La Bible, comme les romans, est sans doctrine. Mes aphorismes sont ma doctrine contrariée.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire