Dieu ne sait pas ce qu’Il attend. Ainsi parlait Patrick. « L’espoir
fait vivre et l’attente fait mourir ». Ainsi parlait Renée. « On
passe sa vie à attendre », soupirait Gérard qui ne faisait rien. Depuis
que je suis sorti de l’enfance, je n’ai plus de patience, j’ai peur du silence
et je répète les confidences. La patience
a cessé d’être ma qualité principale. Je suis sorti de l’enfance, hormis mon
esprit dispersé comme un enfant sans discipline.
Dieu ne sait pas ce qu’Il attend, est-ce à dire qu’Il attend
toujours ? Et si l’attente fait mourir, Dieu ne Se fait-Il pas mourir en
passant Sa vie à attendre ? Il cherche la brebis perdue qui ne se
satisfait pas des ténèbres. On se satisfait des ténèbres de crainte d’être
ébloui. Sans compter la mauvaise volonté. Dieu n’est pas malade de la volonté.
Sa patience n’est pas désespérée puisque la Volonté de Dieu est l’espérance de
Dieu.
Mais moi, j’ai peur du vide. Il
contrarie le sens des masses dont je me sers pour me guider. Le vide ne m’attire
pas en bas ni dans la masse, mais dans le renfoncement. J’ai toujours soutenu
qu’il ne fallait jamais laisser quelqu’un dans le vide. Le vide est cause de
suicide. L’incompréhension ne fait pas se taper la tête contre les murs, mais
se jeter dans un gouffre, malgré soi. Je crains d’avancer à gouffre intérieur
ouvert. Nous nous étions promis de fiancé à fiancée de ne jamais nous laisser
dans le vide même si nous devions nous séparer. Mais cette parole n’a pas été
tenable. Nathalie est partie sans explication parce que je l’avais beaucoup
offensée. Depuis, je rêve qu’elle me revienne et que la chaleur de ses bras m’entoure
et me choisisse.
J’ai peur du vide, mais l’imprévu
me remonte le moral. Il suffit que rien ne se passe comme prévu et je me dis
que ma vie est magnifique parce qu’elle est atypique. On peut faire des orgies
de rencontres. L’imprévu conforte l’improvisateur. Si Dieu ne sait pas ce qu’Il attend, est-ce à dire qu’Il improvise ?
Dieu créée-t-Il à l’improviste ? La fantaisie est préférable à la folie. L’imprévu,
c’est le grain de fantaisie, mais toutes les fantaisies ne sont pas
improvisées. La fantaisie n’est pas impromptue. Qui n’improvise pas compose. Qui
compose se compromet. Je ne sais pas composer. Dieu compose-t-Il ? Dieu se
compromet-Il ?
Je disais à Nathalie : « Je
t’aime comme je crois en Dieu ». Mon amour relevait de la foi. Lui
manquaient les preuves d’amour. Je l’aimais en croyant, bien que l’amour soit
charité. Je l’aimais, non pas en principe, mais en dyspractique. Autrefois, je
croyais que Dieu croyait en l’homme. Mais si Dieu ne meurt pas d’impatience, alors
il y a plus d’espérance en dieu que de foi. Où est la charité dans l’amour ?
Nous manquons de pratique. « Je t’aime comme je crois en Dieu »,
disais-je à Nathalie. Nathalie est partie, mais Dieu reste. Dieu ne me quitte pas pour me laisser à dire.
La Parole de Dieu est comme un reste-à-dire. Dieu ne me quitte pas comme on
laisse une marge de discours. Avant de mourir, Prévert s’interpella : « J’ai
encore tant de choses à me dire ».
On s’étonne que je n’aime pas
assez la joie comme on disait à ma mère qu’elle était inapte au bonheur. Mais
la joie ne laisse pas de marge de discours. La joie qui ouvre à l’indicible ferme
l’extension du domaine de la lutte pour l’art. La joie est souhaitable, mais l’art
est nécessaire. L’art convoque à faire du beau pour la Gloire de Dieu et pour y
trouver son compte, à supposer que la beauté sauve le monde.
Si le vide m’attire dans ses
renfoncements, mon risque existentiel ne vaut plus la peine d’être couru, car
il n’est pas connu. Le renfoncement isole chacun dans sa case. La case est une
maison sans cause. La case où nous jette le vide est le lieu de la parole
inhabitée. Nathalie et moi bâtîmes une maison de parole. Ce que la parole a
bâti est indéniable, mais n’a pas besoin de titre d’existence. La parole n’est pas
le langage et les mots ne sont pas la parole. Le langage est le mystère par
lequel l’esprit met le feu au vide en passant dans le locuteur indépendamment
de lui et sans lui demander son consentement. Les mots sont la segmentation de
la parole en autant d’occasions d’égarement, de sorte qu’on se perde en
paroles.
Verbaliser n’est pas crééer selon
le Verbe, ce n’est que dérouler le visible. Si verbaliser revenait à crééer
selon le Verbe, il suffirait d’avoir conscience pour changer la réalité. Or si
la création n’est pas une fantaisie impromptue, le dessein qu’elle poursuit est
inconscient. Dieu créée en ne sachant pas ce qu’Il atend. Soit Il créée inconsciemment,
soit Il créée à l’improviste.
Je ne compose pas parce que je ne
sais pas écrire. Dieu n’a pas mes infirmités, mais Il créée par la Parole que l’Écriture
ne fait que relater. La relation est une leçon. Et ce que la Parole créée est
indéniable. Toute maison de parole est indestructible. On n’y vit pas dans le
vide.
Simple et beau.
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