mardi 23 avril 2024

Mon père est mon créancier

Mon père est un créancier. Il l’est au triple titre où il est fondé à s’attendre que j’aie envers lui une reconnaissance de dette et que je me prépare à payer ma dette envers lui en fonction de cette reconnaissance qu’il a souscrite et rédigée pour moi comme d’autres ont rédigé mon avenant au contrat social. Il s’attend aussi à ce que je rembourse celle qu’insolvable, il a contractée à ceux auprès de qui il ne peut pas s’acquitter et qui ne l’ont pas acquitté de ne pas s’acquitter, comme il ne m’acquittera pas de ne pas m’acquitter de ce qu’il doit à ses créanciers ni à lui-même en reconnaissant ce que je lui dois.

Mon père est un créancier qui a écrit pour moi une reconnaissance de dette et souhaite que je remboursesa dette. Mais tout père est aussi et surtout un créancier en ce qu’il ne me parle pas, mais qu’il parle, que le recueil de ses paroles et de ses moralités n’a pas force de loi (mon père ne fait pas la loi), mais le recueil de ses créances est dogmatique, car il comporte tout ce qu’il faut croire.

Tout père est un créancier, non pas tant en ce qu’il veut être cru que parce que je ne demande qu’à le croire et je le crois parce que j’ai une entière confiance en lui. C’est pourquoi plus dure sera la chute quand mon créancier faillira et nécessairement il faillira, comme il est inéluctable qu’il m’en veuille d’avoir oublié, et ma reconnaissance de dette, et de payer sa dette en m’acquittant auprès de ceux qui ne l’ont pas acquitté, et de ne pas l’acquitter à mon tour d’avoir failli et manqué à sa parole d’être sans faille et sans erreur, à sa promesse d’omniscience et de cohérence.

Mais pour lors, mon père parle et il a d’autant plus la parole qu’il ne me parle pas à « moi », mais à « on » en « moi ». Il n’est pas mon législateur, il est mon créancier. Il n’est pas celui qui me dit la loi, il est celui qui me fait croire. Il n’est pas celui qui me parle, il est celui qui parle au « on » en « moi ». Je ne suis pas le seul à qui il parle et il n’est pas seul à me faire dire « je » puisque, sans l’adresse de ma mère qui, elle, s’adresse à moi et me destine ses paroles de reconnaissance, il ne parlerait qu’à ce qu’il y a de plus neutre en moi.

On confond la loi de mon père avec sa parole parce que mon père ne profère que des sentences et des moralités générales, il ne me dit pas à moi ce qu’il faut faire, il se parle à lui-même et à ce qu’il y a de neutre en moi, et la distance qu’il a mise entre sa parole et moi me fait accéder au désir de parler pour lui répondre, de prendre la parole, de prendre possession du langage.

Mon père est mon créancier qui parle à ce qu’il y a de neutre en moi, car s’il peut chercher à compenser en moi son complexe d’infériorité en me rendant responsable de réussir là où il ne s’est pas élevé, il vient avant tout à moi avec un désir de parité. Il a accepté d’être père, parce qu’il cherchait un pair en moi. Il vient à moi avec un désir de parité, d’égalité. Il vient à moi avec son transcendant désir de parité qui m’offre la liberté dans la servitude oula servilité, car mon père peut m’émanciper, il peut me donner l’illusion de la liberté qui lui a manqué. Mais il me la donne avec autorité. Il peut me donner ce que je ne lui prends pas, la liberté avec autorité, mais il ne trouvera jamais le point d’équilibre, cette alliance de la liberté (libre) et de l’égalité (équi), . car quelque libéralité et bonne volonté qu’il montre à faire de moi son pair, mon père ne pourra jamais être mon frère. Sa parole sera toujours transcendante à mon désir de prendre la parole et d’accéder au langage pour lui répondre et répondre à sa proposition d’entrer dans l’écriture en m’offrant son créancier, son recueil de croyances, que je devrais manger, ingérer, ruminer, digérer et m’approprier avant de me positionner en liberté face à la parole de mon père, avant de me situer, avant de savoir où je suis et jamais qui je suis. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire