Car voici d'où devraient monter nos louaanges adressées, autant à la vie qui n'a jamais commencé de monter en nous et dont nous nous sentons les vecteurs qu'à celui Qui nous a voulus participants de cette vie, s'Il n'est cette vie elle-même : c'est que nous sommes assimilés. Ainsi me semble-t-il du moins, dans le lignage chrétien dont sont faits l'arbre et le tronc de ma pensée, que nous devions prendre le terme de Ressemblance lorsqu'il nous est dit que nous avons été créés "à l'Image et à la Ressemblance de dieu". Je n'ignore certes pas que déclarer l'assimilation un synonyme de la Ressemblance me met en porte à faux avec la manière juive de comprendre ce terme, qu'il y a donc une autre interprétation plus restrictive de cette expression, pour laquelle, si nous ressemblons seulement à dieu, c'est justement que nous ne Le sommes pas : nous en sommes des modèles réduits nullement divinisables qui n'avons qu'à répercuter cette Ressemblance autant qu'il est en nous. Ici se trouve une des pierres d'achoppement les plus susceptibles de faire trébucher une conciliation entre la réception de la messianité du Christ-verbe par Ses disciples et la non réception de cette messianité par la majorité de ceux qui sont du lignage du Jésus de l'histoire, pour qui c'est insulter à la Transcendance divine que de l'assimiler à la vie, tandis que dieu à travers le verbe, venant à notre rencontre pour nous sauver après nous avoir créés à Sa Ressemblance que nous avons perdue, nous fait entrer dans une logique d'assimilation. Pour les Juifs, Dieu ne saurait être confondu avec la vie qui émane de lui, car Il est plus grand qu'elle, et nous ne saurions d'autre part être divinisés, car nous ne sommes que des modèles réduits de dieu. Le Christ, naissant dans "la maison du pain" (à Bethléem) pour devenir Eucharistie, se prépare à nous donner Son Sang. Or l'interdit de consommer du sang est à la base de toute la kashrout, c'est-à-dire des interdits alimentaires que dieu a prescrits à son Peuple. Le lévitique voyait dans le sang ce qui se rapprocherait le plus de notre notion d'âme, pour autant qu'elle ait cours dans le judaïsme. Consommer le sang dun animal, c'était s'incorporer sa vie, ce qu'une traduction de la Bible de Jérusalem exprime en ces termes :
"L'âme de la chair, c'est le sang" !
La rédemption de Jésus ne consistant à rien de moins qu'à nous donner le Sang de Dieu, voici que par elle, pour autant qu'on acceptât les prémisses que Jésus Etait dieu, Dieu voulait nous prodiguer en Lui "l'âme de la divinité". Cela ne pouvait être qu'un objet de "scandale" pour ceux qui avaient compris tout autrement l'œuvre que devait réaliser le Messie en venant dans le monde. Ce « scandale » allait bien au-delà du fait que le peuple de la première Alliance n'aurait pas su lire la prophétie du "serviteur souffrant", allusion somme toute assez marginale aux tribulations que connaîtrait le Messie pour Se faire reconnaître. Le scandale d'un dieu poussant la logique d'assimilation et de divinisation de l'homme jusqu'à livrer Son Ame est allé jusqu'à éclabousser, bien avant que ne fleurissent les thèses d'une substitution du crucifié, l'Eglise des premier siècles, définissant dans la cacophonie les deux Natures humaine et divine de Jésus et si ces deux Natures avaient ou non participé à l'acte Rédempteur. Le consensus se fit pour déclarer que seule, la Nature humaine de Jésus avait été impliquée dans Sa crucifixion, mais que la Nature divine étant par essence immortelle, elle avait échappé à la mort et n'avait pu s'engager en elle. Or tout autre est la divinisation quand nous la recevons jusqu'à l'extrême pointe de son message révolutionnaire et révélationnaire : en Jésus qui vient se faire Corps et Chair de dieu dans l'humanité, dieu livre son ame à la mort. Et c'est en permettant à l'homme d'entrer dans la mortalité de l'Ame de Dieu par laquelle Il se laisse atteindre que dieu donne à l'homme la chance de rendre son âme immortelle, de lui faire recouvrer son immortalité d'origine, l'immortalité pour laquelle Il l'avait faite et dont l'homme a perdu jusqu'au sentiment de l'évidence. En Jésus, dieu permet à l'homme de rentrer dans son éternité. Jésus Apparaissant à un moment du temps avant lequel l'homme avait mené une vie qu'il avait jugé digne d'être vécue, ne fait que rétablir un ordre perdu, l'ordre perdu de l'éternité, perdu par une séparation qu'on sent consommée avec Dieu, séparation qu'on appelle la chair, chair qui a rendu Dieu aveugle à l'homme et l'homme ébloui par Dieu, chair qui fait Dieu demander à l'homme :
"adam, où es-tu ?"
et qui fait que, quant à lui, l'homme ne sait pas où il en est. Il ne sait pas avoir qu'un seul amour, il ne sait pas accorder de valeur absolue aux moindres actes de sa vie. Souvent, je me suis demandé comment il pouvait encore se trouver des prêtres pour accepter de le devenir, à la fois s'il n'y avait pas d'enfer et si les homme pour qui ils se donnaient ne pouvaient s'empêcher d'être pécheurs. Me posant la première question, j'entrais par trop dans le raisonnement de dostoïevski :
"si Dieu n'existe pas, tout est permis", alors que la liberté chrétienne a déjà répondu à ce raisonnement (par la voix de Saint-Paul)
"Tout est permis, mais tout ne convient pas".
Quant à la seconde question, le prêtre ne le devient pas pour empêcher l'homme de pécher, mais pour tout transformer en amour, y compris ce qui serait "un manquement à l'ordre ontologique", transgression des lois divines, transformation à l'exemple de celle, remarquable, qu'à faite celui dans le sillage de Qui tout ministre ordonné est prêtre et par laquelle "Il a transformé un instrument de torture, la Croix, en instrument d'amour" (Bernard ball). Enfin, s'est-on assez rappelé, dans le monde chrétien comme dans le monde juif, que le messie promis devrait devenir prêtre ?
Je ne prétends pas, me réservant d'ailleurs de traiter de ce thème dans un chapitre ultérieur, d'éclairer d'une Lumière brute tout le Mystère de la rédemption. Ce qui entretient une large incompréhension par rapport à ce Mystère est que nous n'en sentons pas les effets, outre que nous ne voyons pas pourquoi il est intervenu à un moment si tardif de l'histoire de l'humanité, question à laquelle je crois avoir répondu, sans compter qu'il n'y a pas vraiment de moment sur l'axe du temps. Mais une chose est de ne pas en sentir les effets, autre chose est de ne pas essayer d'en comprendre le but. La fin de la Rédemption, c'est la divinisation, c'est de permettre à l'homme de retrouver sa ressemblance divine dans une logique d'assimilation. On peut contester la validité de ce but pour des raisons beaucoup moins superficielles que celle qu'on invoque généralement (et qui est, ma foi, assez légitime) à savoir que, manifestement, malgré la rédemption, tous nos problèmes ne sont pas résolus; On peut contester ce but en disant que l'être ressemblant ne doit pas se prendre pour l'Etre Ressemblé, que c'est se nantir d'un rôle qu'on n'est pas fait pour jouer, que c'est croire sa tête à la mesure d'un chapeau qu'elle est trop petite pour porter (car il faut supporter le monde, une fois qu'on est devenu dieu…), que c'est mettre Dieu, Qui est supérieur à la vie, en position d'infériorité et se prendre, soi, pour le nombril du monde… Mais n'est-ce pas ce que chacun fait, qu'il accepte ou qu’il conteste d’être fait pour être divinisé ? et à quoi mène de contester ce but, sinon, non seulement à ne pas pouvoir guérir de la paranoïa et à ne pouvoir faire que l'aggraver en ne l'assumant pas dans toute sa démesure, mais à se fabriquer des idoles, ce contre quoi dieu s'élève le plus, idoles qui nous aliéneront d'autant plus qu'elles ne sont pas à la dimension de la condition humaine, de la question que dieu lui pose, de la question qu'elle pose à Dieu… ? Car enfin, voici où mène de ne prendre notre Ressemblance de Dieu que comme si nous n'étions qu'un modèle réduit de Celui qui nous aurait créés en position d'infériorité congénitale et dans une perversion telle que nous ne saurions jamais dépasser celui Qui nous a donné le jour : frustrés d'avoir été mis au monde dans une telle perversion, qui ne prend même pas en compte notre besoin de nous montrer les premiers en tout, nous prenant pour des modèles réduits, nous nous fabriquons des dieux encore plus petits que nous ne sommes. Refusant la logique d'assimilation qui est contenue en germe dans notre Ressemblance de Dieu, nous lui préférons celle de l'imitation, qui n'est nullement productive puisqu'elle nous fait passer à côté de notre réalité pour finir par nous fair participer à une foire dd'empoigne, pour autant que , d'après rené Girard, le désir mimétique, porte ouverte à toutes les rivalités, ne peut dériver qu'en un besoin de prendre pour bouc émissaire celui qui ne veut pas jouer le jeu ou celui qui est inimitable, de le prendre comme solution à nos conflits de rivalités dans lesquels il n'entre pas, et de le sacrifier comme élément perturbateur, persécutons l'antisocial… !
Je ne prétends pas, je l'ai déjà dit, à l'occasion de ce bref développement de ce que je puis déduire de ma Ressemblance avec Dieu, éclairer d'une lumière brute le Mystère de la rédemption que, quand je voudrais lui consacrer un chapitre, toute une vie ne suffirait pas à élucider. Si j'y reviens comme je me le propose lors d'un développement ultérieur de ce "journal idéatif", ce sera pour aborder le rôle qu'a ou que n'a pas joué le Christ dans l'accession de "la nature humaine" à la Gloire de dieu. Mais ici, puis-je tout de même examiner en quoi le Verbe S'est fait chair, en quoi, si dieu nous a créés par le Verbe comme il est affirmé au prologue de l'Evangile de Saint-Jean, Il nous a avant tout sauvés par lui. Pour ce faire, je délimiterai un certain nombre des caractéristiques de la chair et je dirai en quoi le verbe les a, à monsens, assumées. Mais en préambule, je voudrais dire que la distinction du Christ et du Verbe me semble plus opportune et spécialement plus féconde pour la modernité que la distinction quelque peu obsolète entre la Nature humaine et la Nature divine de Jésus-christ, d'autant que cette distinction la recoupe assez largement, le Christ correspondant à cette part humaine de nous qui, quoiqu'ointe du sceau de la bénédiction divine, ne peut jamais sortir de la logique sacrificielle, tandis que le verbe vient d'ailleurs, Etait auprès de Dieu et Etait dieu. Il vient d'ailleurs se glisser dans un manteau de chair, manteau frigorifique que le Verbe vient réchauffer.
Que dirai-je de la chair ? que mon lecteur me fasse la grâce de ne pas croire que j'avance par obsessions : mais "la chair" est assez largement un synonyme de l'anorexie. La chair est anorexique et elle véhicule une représentation anorexique du monde. La chair est comme gisante à l'abandon. En suinte de "la plaie ouverte" du "dormeur du val" la blessure de l'amour qui l'a prise pour cible. La chair est ouverte et muette. Or, on l'a vu, le verbe va faire une transfusion de sang à la chair. La chair ankylosée, inanimée, va pouvoir redevenir "la chair et le sang", c'est-à-dire, moins que la chair va retrouver son âme dans une union duelle déséquilibrée, mais reprendre vie, se lever et marcher. La chair va pouvoir être remobilisée par la transfusion qu'acceptera d'y faire le verbe. Mais, au préalable, le Verbe aura fait l'expérience du sentiment d'abandon. Il en aura fait l'expérience parce que, Lui qui etait "près de Dieu", Il aura accepté de S'exiler loin de dieu et, dans cet exil, Il aura souffert de la distance. Il en aura fait l'expérience en répercutant ce cri aux deux extrémités de sa vie : la première fois en poussant le premier cri d'expiration qui marque la venue au monde ; la seconde fois en donnant, avant de mourir, un sens explicite à ce cri, soupirant :
"Mon Dieu, mon dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"
faisant sienne la croyance erronnée de la chair qu'elle n'est pas désirée, que Dieu a signé à son égard un acte d'abandon dont elle est inconsolable, n'acceptant, de ce fait, la reconnaissance d'aucune dette, voulant ne venir de nulle part, n'être "(la fille) de personne" (Jacques de Guillebon), le Verbe la fait entrer dans Son propre engendrement. Le Verbe dit à la chair :
"comme Je Suis Né de Dieu, tu peux naître d'En Haut." Le Verbe donne raison à la chair de ne pas accepter le fait accompli d'une filiation qui ne l'a pas désirée. (A force de se sentir non désirée, la chair finit par n'être que désir.)Le Verbe fait entrer la chair dans "l'adoption divine", c'est-à-dire qu'Il lui révèle que, par-delà son existence, il y a, pour elle, la nécessité d'adopter la raison qui l'a faite exister (et qu'Il est là pour lui donner, Lui, le Verbe, Raison des choses, Sens du monde ; mais il y a aussi, pour celui qui lui a donné l'existence, pour le Père du verbe et de la Vie, nécessité de manifester, pour subjuguer le sentiment d'abandon de la chair, tout le désir qu'Il a eu d'elle, ce qu'Il fait en envoyant s'incarner Son "verbe qui Etait Né de dieu". Dieu révèle à la chair qu'elle existe sans lui imposer son existence. La chair entre dans le mystère de génération divine et cette génération divine s'allie pour ainsi dire à la génération spontanée pour faire consister l'existence en la somme des existants multipliée par l'état d'esprit qui a présidé à leur existence.
Ayant subi le choc de l'abandon, ayant été la cible de l'amour, la chair a réagi à ce choc en s'enfermant dans le mutisme. Elle n'a plus su trouver les mots, elle n'a plus voulu dire un mot. La chair est devenue mutique comme la mère de camille Raquin, le mari de Thérèse, l'héroïne de Zola qui, avec son amant, a assassiné son fils. A ce mutisme de la chair, le Verbe répond de plus d'une manière, et l'on pourrait dire que la première réponse qu'Il lui fait est de se faire appeler "le Verbe". En effet, la chair demande au Verbe :
"Pourquoi t'appelle-t-on le Verbe ? Est-il possible que Tu aies créé en proférant quand il te suffisait de penser pour appeler à la vie ? Pourquoi t'appelle-t-on la Parole ?"
Et le Verbe répond à la chair :
"On m'appelle la Parole parce que, si certes, J'aurais pu créé les mondes sans proférer qu'ils fussent, Je n'aurais pu venir à toi sans Me nommer le Verbe, car tu ne sais penser sans langage. Aussi t'ai-je dit que j'étais Langage afin que tu entendes ma pensée."
Le Verbe est ainsi entré dans la conscience de la chair.
Mais la chair a dit au verbe :
"Il ne suffit pas que Tu sois entré dans ma conscience. Ce que tu ne sais pas, c'est l'étendue de mon inconscience. Car, avant que je parle, que m'est-il arrivé ? Je n'ai ni conscience, ni souvenir, ni pouvoir. Je suis volonté de puissance, mais je n'ai pas le pouvoir de ma volonté. Je suis un désir sans pouvoir ni puissance. Je suis un fantasme. Je fantasme ta magie de pouvoir faire advenir ce que tu te contentes d'énoncer. Donne-moi ton pouvoir, ô verbe !"
"Tu ne sais pas ce que tu demandes", a répondu le verbe. "Tu ne sis pas quels sont les risques du pouvoir. Tu ne sais pas à quel point le pouvoir corrompt. Tu ne sais pas à quel point il faut avoir une humilité en face des choses, quand même tu les crées. Mais il ne suffit pas que Je te le dise sans mettre en pratique la renonciation qui en découle. Je dois m'imposer une abdication et m'astreindre à une double ascèse".
La première fut que le Verbe, de "poème" qu'Il etait, S'est fait enfant. "et le poème s'est fait Enfant" pourrait être une traduction exacte et littérale du verset :
"et le verbe s'est fait chair".
L'enfant, dans le sens où nous le soulignons, dans le sens où nous notons que c'est la première condition par laquelle est passé le Verbe Incarné, c'est celui qui ne parle pas, qui est privé de la parole, n'a pas le don de la parole et par conséquent ne comprend pas. Le fait de se faire enfant présentait pour le Verbe deux avantages : le premier était de ne pas s'imposer comme existant à une chair qu'Il devait convaincre de son existence. Ce fut ce qu'on appela "le silence de Dieu". Le second fut de connaître quelque chose de l'inconscience dans laquelle un enfant s'est ouvert à la vie et qui constitue la seconde raison, pourquoi il ne se souvient pas de sa naissance, car on ne se souvient nettement que de ce dont on a compris comment il était formulé. Or la naissance de la chair, avec le cortège qui l'avait précédée d'information génétique, s'était déroulée dans une grande informulation. Le Verbe Informé est entré dans cette informulation pour prendre conscience de notre inconscience. L'inconscience est l'un des grands mystères qui participent à convaincre la chair de son abandon. A partir du moment où on l'observe réactif, on suppose que l'enfant a peut-être une conscience simultanée des choses, c'est-à-dire une conscience des phénomènes au moment où ils se produisent, mais sans la possibilité de les rattacher en souvenirs. Or la conscience, si elle naît du langage, suppose aussi le souvenir. Il ya un moment où l'enfant prend conscience, mais avant cetemps, l'enfant est inconscient. Quant au verbe, peut-on dire que c'est en se faisant enfant qu'Il devient Inconscient ? Le Verbe n'a-t-Il jamais connu l'inconscience ? Jung a dit que "Dieu est l'inconscient", mais c'était une façon commode deremplir un vide conceptuel. Ce qui est plus certain, c'est que, s'il fut seulement un moment où dieu fut sans Vis-à-Vis, Il connut l'inconscience ou l'ennui, ce qui revient au même. S'il y eut un moment de l'éternité où "Dieu prit temps",ce commencement fut pour lui ce que la prise de conscience fut à l'enfant. Or le Verbe étant de procession divine, est le principe de génération divine. Le Verbe est la Conscience du Vis-à-vis de Dieu. La spontanéité, en même temps que l'extraordinaire construction de cette génération, c'est justement ce que le Verbe est venu révélér à la chair. Car si, comme l'ont supposé les anciens, "le Verbe Fut coéternel au Père", Il le fut comme la conscience de Dieu qu'Il ne pourrait être sans qu'il y eut Quelqu'un. Il ne saurait y avoir d'être sans y avoir de l'autre. Dès lors que le Verbe fut toujours Conscience, en prenant la voie de l'enfance, Il fit pour la première fois l'expérience de l'inconscience qui appartient à la chair. Ce n'est pas que l'inconscience ait été le propre de la chair : dieu en avait fait aussi l’expérience, mais Il la surmonta en se Faisant Esprit et Il la sublima en suscitant de l'autre. La chair n'était pas capable de susciter de l'autre. Ce qui l'a fragilisée, c'est la sensation que l'autre faisait son histoire.
Mais le Verbe à travers l'enfance s'est fait un "Poème Muet". Le Verbe en se faisant chair s'était déjà fait le contraire d'un poème, dans la mesure où le "poème", avant d'être lyrique, avant d'être sujet à la malédiction orphique, était doté du pouvoir de susciter, consistait même en cette création quasi magique d'une pensée se matérialisant. Or, de même qu'Adam fut chassé du paradis, ce fut à la suite d'une malédiction que le poème devint lyrique. Le poème gagna en mots ce qu'il avait perdu en capacité de susciter des images. Le poème se paya ou fut payé de mots. Ici, il convient peut-être de s'interroger dans quelle mesure les mots peuvent nous sauver la vie. Cette interrogation est suscitée par le fait que Celui qui Vient nous rédimer et S'offrir à être notre rédempteur est présenté à notre adoration comme pouvant être invoqué sous le vocable de verbe; S'Il est le Verbe, n'est-il pas mot ? N'est-il pas cette monnaie vraie ou fausse dans laquelle le lyrique a surmonté l’orphique ? Un jour, j'ai dit à mon frère que les mots m'avaient sauvé la vie. Il m'a répondu à, je crois, juste titre qu'il ne fallait pas m'en payer. J'ai certes la chance de jouir d'un certain pouvoir des mots. Ce pouvoir me permet de justifier ma vie, mais, ni de la dénouer si je n'ai pas un vis-à-vis, ni d'en changer la donne. Mon frère est féru de psychanalyse ; comme je lui demandai un jour comment il la définissait, il me répondit qu'indépendamment de ses sous-bassements théoriques auxquels il ne se sentait pas plus lié que cela, "avant tout, la psychanalyse était un langage à ses yeux. Je ne souhaitai pas en savoir davantage, d'autant qu'un de ses camarades écrivains, qui prenait le café avec nous, confirma cette définition comme ayant touché au plus juste de l’essence de la psychanalyse. En y revenant, m'apparut ceci : comment, si la psychanalyse est un langage, peut-elle accompagner "la mort du langage" ? des structuralistes comme Michel foucault ne l'ont-ils pas prise comme auxiliaire pour que l'homme ne soit pas déboussolé dans ce changement d'"épistémè" ? (Les spirituels parlent de "changement de paradigme", les intellectuels préfèrent parler de "changement d'épistémè".) comment "la cure de parole" pourrait-elle accompagner "la mort du langage" ? Avais-je bien compris ? Ne commettais-je pas un contresens ? Mettons qu'il soit exagéré de faire participer la psychanalyse à la mort annoncée de cela même qui l'a conditionnée. Reste que beaucoup de ceux qui ont suivi une « cure analytique" en ressortent avec la conviction qu’il faut se contraindre à l'ascèse d'une economie de mots qui ne conserve du langage que "son squelette", dit mon frère, "et c'est toute la dignité de la poésie de se dépouiller des fioritures pour ne conserver que l'ossature. Ainsi la poésie peut-elle échapper à la conjuration du lyrisme." M'interrogeant sur les raisons qui poussent à cette économie, j'entends dire qu'il faut bien se rappeler que le matériau de base sur lequel "la cure" vient mettre moins des mots que du sens étant l'enfance, le désarroi dans lequel ces premiers mois se ont passés est l'absence de mots par laquelle son souvenir s'est émoussé. Ce qu'il y avait à rechercher au fond de cette absence de mots étant une fois remis en ordre, il était nécessaire de reconstituer cette absence et, après avoir scénarisé l'enfance, d'en refaire un film muet. Le poème de l'analysé devient elliptique. Du langage, il ne reste que l'ossature. Or, ce qui est éludé dans la phrase elliptique, c'est le Verbe. Mais la poésie oscille aussi entre son désir de n'être que l'ossature et le fait, comme l'aphorisme, dont je prétends sans pouvoir le prouver qu'il est la scansion naturel de son mètre, de "tendre vers la phrase infinie". Le langage réduit à l'ossature, dont il ne reste que le squelette, ne renvoie-t-il pas à quelque "pulsion de mort" que remet en selle la remise en scène de l'enfance en un film muet ? Mais c'est ici que le Verbe peut venir au secours de l'ellipse : dans la réduction du langage à son ossature, en plus d'un dépouillement qui "fait vivre les mots à la dure", il y a un refus d'émotion qui recherche la solidité. Dans la loghorée qui étend le linge de la phrase essorée, par le ressort de l'abus de langage, vers l'illusion de l'infini, il y a au contraire une complaisance vers l'émoi facile et comme une recherche de la larme qui ne viendrait pas d'elle-même, qui ne procèderait pas d'un don. Le Verbe se situe à l'exact confluent du langage réduit à l'ossature et de sa tension vers la fluidité mouillée de l'infini. N'étant fait, ni pour l'élision qui Le nie, ni pour la propension d'une expansion artificielle qui en fait une caricature de Lui-même en Le transformant en verbiage ou en verbalisme, entre ces deux écueils, le Verbe propose une sagesse", qui "revient marcher au-devant de la chair" et qui satisfait à la fois au besoin de solidité sans lequel il n'y a point de plaisir et à un minimum d'expansion de cette solidité vertébrale sans laquelle celle-ci n'est que dureté du cœur. Lorsque le poème, « muet dans la langue » (André Duboucher), veut reprendre langue avec le Verbe, celui-ci sort de son enfance pour réinformer d’haleine la chair en quête de sens d’une sagesse proverbiale. Mais le Verbe ne sort de son enfance qu'à la demande de la chair ; si cette demande n'est pas formulée, Il peut très bien Se faire silence, comme si Dieu n'existait pas; Mais le Verbe sortant de son enfance qui ne l'a pas hypnotisé (et apprenant par la même à la chair à faire de même), dans la Sagesse avec laquelle IlSe confond à l'origine, "sagesse Qui jouait sur la terre" au moment que de créer la vie qui est un jeu, ne transmet-il, en matière de sagesse qui vertèbre la vie, qu'un usage du monde ? Ce serait déjà beaucoup.
Le verbe transmet un usage de la vie ; Il transmet un usage des plaisirs et des déplaisirs, Il transmet un usage du manger et du boire. Il transmet l’usage que, si le don de la vie se transmet par la voie d’échanges et de jeux sexuels, les premiers échanges de la vie sont d’ordre oral, de ceux par quoi la mère donne le lait de son sein ; par suite, ces échanges s’approfondissent dans le banquet fraternel où se partage le repas convivial. Or infinie est la nostalgie matricielle de l’enfant de retourner au sein de la mère comme infinie aussi est la nostalgie de l’âme de retourner au sein du Père, c’est-à-dire au sein de sa matrice divine dont elle se sait provenir sans tout à fait Lui appartenir, parce qu’il lui manque quelque chose de la ressemblance de ce sein Paternel.
Au premier instant de cette manducation du nourrisson, celui-ci n’absorbe aucune substance qu’il ait volée. Même, on peut dire que ce que la mère le laisse tirer d’elle ne lui retire rien, car elle ne fait que lui donner ce qu’elle n’a sécrété que pour lui. C’est de cette innocence de cets premiers repas où le nourrisson sait ne s’être nourri de rien qu’il ait volé qu’il est particulièrement nostalgique. Qu’il n’ait pas été allaité, qu’il ait subi l’arrêt de l’allaitement comme un traumatisme qui l’a particulièrement marqué ; ou qu’il n’ait pas aimé le lait dès l’origine, parce qu’il y avait quelque chose entre sa mère et lui qui ne passait pas, un signe particulièrement fort de ce que sa condition charnelle se vivait sous celui de l’abandon originel, et l’anorexie menace, au moment du passage obligé de l’absorption des nourritures liquides aux nourritures solides, de la sucion à la mastication. Pourquoi lui pousse-t-il des dents qui vont l’obiger à broyer en même temps que ces organes seront des conditions facilitantes, mais non absolument nécessaires, de son langage ? C’est une des questions que l’enfant peut se poser. Il remarque une nette différence entre les deux modes d’échange alimentaires qui vont se faire jour successivement dans sa vie, les premiers se faisant dans une captation contemplative et symbiotique avec celle qui lui donnera son sein et à qui il ne prendra que de la substance faite pour lui ; les seconds introduisant dans l’acte d’échanger des aliments un tour certes plus altérophile en ce sens qu’ils s’accompagneront d’un échange de paroles et de joie tapageuse. Mais quelque chose avertira l’enfant qu’il est entré dans une dimension plusomnivore, celle d’une chaîne alimentaire où il ne pourra se nourrir et assurer sa vie qu’au détriment d’un autre vivant que, non seulement, il s’assimile, mais au sort duquel, plus il avance dans l’amour du manger et plus il sera indifférent. Si l’on voulait exprimer le sentiment très ténu dans lequel s’effectue cette transition, on pourrait dire qu’elle est contenue dans l’apposition, dans la Promesse divine, qui dit qu’on trouvera sur la terre où se consommera l’Alliance de Dieu et de son peuple, « le lait et le miel ». Le lait, c’est ce qui se puise du sein maternel, une substance comestible faite pour l’âme presque par génération spontanée encore que, dans l’absolu, bien sûr, il faille que la mère se nourrisse pour pouvoir donner du lait à son enfant. Quant au miel, il est plus sucré que le lait (quand j’étais enfant, j’étais tellement dégoûté du lait qu’on me donnait du lait sucré ; il passait à peine davantage) ; mais ce n’est pas pour rien qu’être mielleux est passé en adjectif : le miel est plus adhésif, mais surtout il n’y a rien qui ne pille davantage et qui ne s’entende mieux que le miel à dissimuler son pillage. Le miel est pillé aux abeilles qui elles-mêmes le fabriquent en pillant leur pollen aux plantes et en commettant ce pillage en papillonnant, de même que le meilleur aspect où nous nous sentions de notre vie, c’est de papillonner, non sans que ce papillonnage ne puisse à l’avenant être ce que nous pouvons faire de plus cruel : car quand nous papillonnons, nous volons de serment en serment, ainsi que les abeilles butinent de fleur en fleur ; et pourtant, le papillon est l’image de l’âme, sans doute parce qu’il est insoucieux d’être inconstant autant que parce qu’il met longtemps à sortir de sa chrysalide.
L’enfant n’a pas besoin de dents pour passer du lait au miel, de même qu’il n’a pas absolument besoin de dents pour accéder au langage, si ce n’est que, s’il n’a pas de dents, il ne pourra pas prononcer les dentales. Les dents lui poussent comme cet instinct proverbial d’accepter de découper du vivant et de s’en trouver néanmoins en joie. Ses dents lui poussent comme une acceptation d’entrer sans scrupule dans la chaîne alimentaire. Et cependant, la délicatesse de son âme n’en reste pas moins rebutée par ce qu’il doit faire pour assurer sa survie. Puisque quelque chose l’avertit qu’il doit se détacher de sa mère, du moins ne voudrait-il ne se nourrir que d’air ! Il voudrait ne se nourrir que de ciel si l’air est l’élément du ciel et le ciel l’élément dans lequel s’épanouit naturellement son âme. Ses dents lui on tpoussé proverbialement comme une façon de parler en mangeant, c’est-à-dire en n’ayant garde d’être un voleur en devant se soumettre pour survivre aux lois de la chaîne alimentaire. Ses dents lui ont poussé pour parler en mangeant, cependant que son cœur, qui fait le pont entre les nécessités biologiques où il est de s’alimenter et d’excréter ce qui est entré en lui, pour le faire à nouveau circuler dans la nature, cependant que son cœur fait s’insurger son âme d’avoir, en s’emparant de vivant de ses dents caleuses, à être un voleur. Or le Verbe en Se faisant chair, l’accompagne dans ce rapport contrarié qu’il a avec la nourriture. Par où l’on voit en passant que la chair n’a rien qui la prédispose à aimer faire bonne chère sans un mouvement de recul qui est mal assorti aux sentiments primaires qu’on lui attribue de prime abord, de ne penser qu’à faire bombance. Aussi vrai que la chair pense, c’est pour moins se vivre à mal qu’elle va transformer son anorexie en gloutonnerie plus ou moins gourmette et gastronome. Le Verbe va apprendre à la chair à aimer parler en mangeant. Le Verbe va dispenser Son Enseignement à la chair essentiellement au cours de repas bien garnis et, pourquoi pas, bien arrosés. La Personne Physique du Verbe incarnée en celle de l’Homme-Jésus va même se laisser traiter de « glouton » et d’ »ivrogne ». Pire, elle va même laisser entendre que Dieu contrevient au septième commandement en L’assimilant, à la faveur d’une parabole, au « voleur » dont le maître de maison ne peut s’attendre au moment précis où il va venir procéder à son cambriolage. Or en quoi Dieu pourrait-Il voler une maison dont, au mieux, Il Est le Maître et à Qui, au moindre, elle est dédiée ? La parabole ne nous le dit pas : elle se contente d’assimiler Dieu à un voleur sans vouloir que nous y cherchions davantage et en nous recommandant au contraire implicitement de nous laisser surprendre par cette contravention de Dieu même au commandement que Lui-même a prononcé pour que nous soyons heureux sur la terre et ne vivions pas en infraction avec les lois de la vie. Or Dieu, à qui la chair ne cesse de demamder :
« Pourquoi nous demandes-tu de nouss oumettre aux lois de la chaîne alimentaire » ? »
semble avoir disposé des lois de la vie qui vont à l’encontre de la pure oblation et semble vouloir commencer par nous apprendre à contrevenir à cette oblation en se mettant lui-même en infraction avec notre idéalisme originel d’enfants abandonnés. Il le fait avec le secours de son verbe pour nous préparer au retournement futur que celui-civa opérer.
Ce second retournement, cette quasi conversion du verbe de la chair à notre âme, consiste à ne pas répondre à la question que nous avons posée au Père de la vie et qui consistait à Lui demander comment la chaîne alimentaire pouvait le aucunément s’accomoder de l’oblation. D’une façon qui n’avait rien de médiocre bien que son nom soit désormais associé à un personnage caricatural du fait de la pièce d’edmond Rostand qui ne peint pas l’écrivain véridique, Cyrano de Bergerac nous avait enseigné à nous consoler de manger du vivant en lui redonnant vie en nous, si bref qu’y dure son passage par notre corps. Cela n’était pas une piètre leçon, mais elle ne suffit paps au verbe qui, après que nous avons été dotés de la dentition pour pouvoir découper du vivant et nous l’incorporer dans notre ventre, Veut Epouser à nouveau la logique d’oblation après laquelle languissait notre âme alanguie dans la chair. Le Verbe rétablit la logique d’oblation qui avait été rompue par la chaîne alimentaire ; c’est pour la parfaire en ayant à la rétablir qu’Il l’avait sans doute laissée se rompre, comme on sait qu’il ne saurait y avoir de véritable apprentissage qui n’aboutisse à une leçon d’ignorance après avoir désappris, mais non après s’être complu dans le non effort d’un refus d’apprendre. Il n’y a pas de mémoire dont la fin ne soit l’oubli afin qu’elle puisse culminer dans l’anamnèse ou le mémorial. De même, le Verbe a rétabli la logique d’oblation après l’avoir laissée se rompre pour la parfaire, pour l’accomplir, pour l’achever de perfection. Et Il a rétabli cette logique d’oblation en s’incorporant à la chaîne alimentaire pour nous apprendre qu’après avoir mangé d’une substance, le lait du sein de notre mère, qui n’était faite que pour nous seuls, après avoir légitimement désiré retourner dans ce sein, il nous fallait « nous donner nous-mêmes à manger », car notre destin était, comme le sien, eucharistique. En l’accomplissement de cette part de notre destin pourrions-nous retrouver la similitude qui nous Le ferait assimiler et nous laisserait assimiler au point culminant de l’amour, dans le comble d’une oblation qui serait parvenue à ne plus être sacrificielle pour devenir le don de notre âme, comme c’est l’âme de la divinité à travers Son sang que le verbe nous donne à manger, signifiant, par cette divine Transfusion que l’essentiel de la Rédemption consiste au moins autant en la satisfaction-révélation d’un destin eucharistique qui devaient devenir commun à la chair et au verbe, qu’en notre affranchissement par « la loi du lévira » (ou du rachat) que le verbe nous aurait obtenu par l’effusion de Son Sang : rachat sans doute aux lois de la nature, mais non au Châtiment de dieu, car il ne saurait y avoir de dissociation des Volontésentre celle du créateur et celle du Rédempteur. Peut-être le Fils a-t-Il dû racheter ce qu’extrinsèquement à sa finalité créatrice, comme le suppose teilhard de Chardin, la nature a voulu arracher à ses lois pour forger les siennes en toute indépendance, d’où la divergence entre Yahvé et elohim, hypothèse que je prends la responsabilité de risquer un peu témérairement. Mais « d’un regard », comme le dit Saint-thomas d’aquin, le Père aurait pu décider que notre rédemption ne fût pas acquise à si grand prix que l’effusion du Sang de Son fils. Aussi devons-nous être portés à croire que la révélation première de la transfusion du sang du verbe dans notre chair desséchée a voulu nous apprendre qu’eucharistique était notre destin, que nous devions nous donner du fond de l’âme pour retourner au sein du Père, y déguster le lait de Sa Bienveillance et Tendresse Première pour les créatures que Son Amour et Sa Bénignité ont appelées à la vie !
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