mardi 9 août 2016
La phrase et le message
Nous sommes des fulgurants fragmentaires qui nous noyons dans un verre d’eau. Quel malheur d’être l’enfant d’un siècle où tout le monde écrit comme Roland Barthes !
La littérature est devenue masturbatoire. On écrit pour se vider les couilles. Mais quand on s’est vidé les couilles, on a mal à l’estomac. La littérature nous reste sur l’estomac parce qu’on écirt pour se vider les couilles. La littérature est devenue masturbatoire du fait des professeurs de lettres. La flagrance de la dérive masturbatoire de cette littérature qui nous reste sur l’estomac vient moins des fragrances ordurières dont sont envahis nos écrits (Marie-France cohen me disait que j’écrivais come une ordure) que de l’invasion dans le champ littéraire de termes pseudos-scientifiques comme « champ lexical » ou « isotopie ». L’isotopie est d’origine éthologique. L’éthologie est la science du comportement des animaux. La littérature éjaculatoire qui nous reste sur l’estomac se voudrait une thérapie comportementale. Il s’agirait de domestiquer le comportement de l’homme ordurier en assumant son incarnation animale et en l’empêchant de transmettre un message. Notre conscience est un message. Le nom est un message. La phrase est le véhicule d’une synthèse messagère. La littérature n’est pas une phraséologie et elle n’est pas phraseuse. La littérature n’a pas pour vocation de transmettre un message comme le nom, la conscience ou la phrase. Néanmoins la littérature est le support de la phrase. Ce ne sont pas les phrases qui sont le support de la littérature, c’est la littérature qui est le support de la phrase. La phrase n’est que le canevas de la littérature. La littérature est un dessin et son support, la phrase, est messager. La littérature est un dessin sans dessein qui supporte le message des phrases qui la trament. La littérature est une illustration. Elle est l’illustration d’un message. Néanmoins ce qui suit est une involution : nous sommes passés du livre au texte et du texte au message. Et cette involution est due à Roland Barthes. Elle est aussi l’effet des réseaux sociaux, mais c’est une causalité secondaire. Tweeter est le réseau social de la phrase. C’est un réseau social pour écrivains cassants qui parlent comme des Cassandre ou comme des casseroles. Nous écrivons comme des casseroles pour avoir régressé du livre au message par la médiation du texte. Le texte répondrait de lui-même hors de toute notion d’autorité excédant le langage. Le langage n’est tellement pas le verbe qu’il a éludé le verbe. Le texte se réfléchit lui-même en éjaculation du langage précoce et fragmentaire. Quand on s’adonne au plaisir solitaire, on ne fait pas d’enfant. Le livre nous grandissait et nous ajoutait quelque chose, le texte ne nous apporte rien. Il ne nous fait pas d’enfant. Le texte ne nous apporte rien de ne pas nous faire d’enfant. Le livre qui nous faisait des enfants produisait un nouveau message. Il le faisait sur la trame des phrases. Qui lui servaient de support. Le livre était un nom, le texte n’est qu’un adjectif. Lelivre faisait des enfants, produisait un message, engendrait une personne. En dernière analyse, la personne est, plus que la conscience, plus que le nom, le nom propre du message. La personne est le nom propre, la chose est le nom commun. L’ancienne gramaire distinguait entre les personnes, les animaux et les choses. Quand j’ai parlé du génie de la phrase, j’ai d’abord écrit « le génie de la chose ». Et puis j’ai eu un repentir : la phrase n’est pas une chose, elle trame la personnalité. La personne ne l’est pas davantage. Ce n’est pas parce que l’homme doit s’incarner en animal qu’il doit devenir une chose. Bien au contraire : l’incarnation est temporaire. Elle est comme un chemin d’initiation. Pourtant je serais homme à croire que l’Incarnation du Verbe est éternelle. A vrai dire, elle a commencé, mais elle n’aura pas de fin. L’incarnation de l’homme en animal n’est qu’une tribulation dans son destin. Il doit s’animaliser à titre provisoire pour devenir une personne, c’est-à-dire son message. L’homme doit devenir son message comme Nathalie du Vietnam voulait « réaliser ses yeux ».
La personne est le nom propre de l’homme. Il n’y a pas de nom commun. Un nom commun est un abus de langage qui désigne une chose de façon générique. Nous sommes en voie de réification. Nous avons pris le parti des choses. Notre art est de compression et notre littérature d’éjaculation comme les dessins d’une tache de sperme sous les draps ou sur le tapis. Notre littérature n’est plus un tissage du message. Seul le message est nôtre. L’époque n’est pas nôtre. Nous avons nos époques, mais l’époque n’est pas nôtre. L’époque n’est pas nôtre et la chose est neutre. Nous sommes en voie de neutralisation du fait de Roland Barthes. Nous pratiquons une littérature du nom commun dans des textes adjectifs qui n’ajoutent rien et sont leur propre autorité. La phrase, comme la conscience, le message, le nom et la personne, est adjonctive. Nous sommes des additifs. Nous ne sommes pas des illustrations comme la littérature, chacun de nous est une autre histoire. L’époque qui n’est pas nôtre est en voie de réification et nous fait glisser sur cette pente savoneuse. Nous ne sommes pas faits pour être neutralisés. La neutralisation nous carboniserait. La vie commence dans le carbone qui est son expression la plus neutre. Elle y commence et n’y finit pas. La neutralité est incorruptible et nous sommes mortels. La carbonisation de notre ardeur messagère et personnelle par la neutralité aurait pour effet de nous attiédir. Le carbone est une matière glacée, nous ne sommes pas faits pour être réfrigérés. La congélation des embryons est la forme la plus achevée de la réification compressive et compulsive. L’un des indices de la réification involutive ne fut pas seulement l’évolutionnisme darwinien et spencerien, mais l’inflexion que lui donna Bergson en postulant qu’au commencement était l’intelligence de l’action. Ainsi traduisait-il le célèbre premier verset du prologue de Saint-Jean. Et comme c’était un esprit conséquent, il estimait que l’homme qui commençait par l’intelligence finissait par perdre la mémoire dans un ordre qu’il établissait ainsi : d’abord l’homme perd la mémoire des noms propres, puis celle des noms communs, puis celle des adjectifs et enfin celle des verbes. La dernière mémoire à disparaître était celle de l’action. Rien n’est plus inactif qu’un souvenir. Un souvenir nous fait poser dans une inactivité bienheureuse. Bergson inversait l’ordre de la phrase. Nous naissions intelligence et nous mourions mémoire. Notre vie n’avait pour but que de nous faire sauter un gué. Nous naissions action et la personne était la première à mourir en nous. La vie n’était pas un chemin de personnification. Aucun message ne nous animait. La mémoire était de la matière délocalisée. Elle n’était plus la matière de la littérature. Elle ne donnait plus matière à ajouter notre histoire au Livre de vie. La mémoire est la matière des lettres parce qu’elle nous représente, posant. La passivité du souvenir est peut-être une illusionpersonnaliste, mais elle nous dessine représentant et transmettant notre message. La littérature s’abreuve aux sources de la mémoire, car un art du dessin doit boire à la source d’une faculté dessinatrice. Chacun est une autre histoire qui ajoute au Livre de vie sans être une figure ou une illustration. J’ai toujours été horrifié par la vision figurative des antéchrist de l’Incarnation tels que les peint saint-augustin. Le style, c’est l’homme, et tout homme a son style. Il y a une figure de style propre à chacun, mais nul n’est une figure de style. Etre des fulgurants fragmentaires ne fait pas de nous des figurants. Ce n’est pas parce que nous portons un masque que nous faisons figure. Pourquoi avoir donné à la personne le nom du masque qui fait pâle figure ? Nous ne sommes pas au théâtre, nous ne sommes pas notre ombre, nous ne faisons pas figure, nous sommes figure, mais nous sommes notre figure. Nous pouvons nous calquer sur un modèle, jamais nous ne serons la figure de ce modèle. Nous avons du style, nous sommes un style, nous ne sommes pas une figure de style. Annie Ernaud a avoué que la première chose qu’avait oublié la professeur de Français qu’elle était était le nom des figures de style. Un nom n’est pas fait pour nommer une figure de style. La figure de style est la chose la plus commune qu’un nom puisse nommer. Un nom est un médicament générique du langage pour étiqueter les choses, mais les pensées ne sont pas faites pour être classées. Le matérialisme n’est pas une plaie parce qu’il mettrait de la matière partout, mais parce qu’il ne met de l’esprit nulle part. L’homme n’est pas une intelligence. L’intelligence est matérielle, elle n’est pas spirituelle. Ce n’est pas que l’intelligence ait une visée actionnariale comme le prétend Bergson. Mais l’intelligence raisonne à froid, carboniquement et incorruptiblement sur ce qui réclamerait de l’esprit, c’est-à-dire un alliage subtil d’intelligence et de mémoire. Les classiques avaient de la raison et les modernes ont de l’entendement. L’erreur des classiques fut d’avoir une raison scolastique et trop hiérarchique. Elle fut de croire aux échelles. L’erreur des modernes est d’abord une supercherie. Le siècle des Lumières a prétendu introduire les lumières de la raison dans ces échelles du visible et de l’invisible. Or cette raison était de l’entendement et on ne l’a pas dit. Mais ce mensonge par omission philosophique s’accompagne d’une supercherie spirituelle. L’entendement qu’on substituait à la raison des classiques, qui était ultramatérialiste, était de la raison spirituelle, et on a feint que c’était de la raison plus matérielle encore que la précédente, si c’était Dieu possible. En multipliant ou en pluralisant la lumière, on a atteint à son unité. Atteindre à pour un être qui ne s’atteint pas lui-même, c’est renier l’objet de son atteinte. L(‘homme des lumières a renié la lumière. Il l’a reniée en la prévisualisant. Il a voulu l’englober dans sa vision et s’en dire le créateur. L’homme des Lumières a renié la lumière et le créateur de la lumière. Il a dit : « Que la lumière soit » et elle ne fut pas. Il a dit : « Que Dieu soit » et Il ne fut pas. L’homme des Lumières n’avait pas tout prévu. Il ne savait pas que la lumière, comme Dieu Qui est lumière, venaient du passé. Il ne savait pas que la lumière était de la mémoire qui éclairait sa personne et son esprit. Nous ne pouvons pas prévoir ni même voir la lumière, mais la lumière se jette sur notre message pour le faire voir. La lumière comme l’omniscience de Dieu pourrait prévoir notre message malgré la tribulation qui est le révélateur du destin. Mais la lumière qui vient du passé se moque de prédire l’avenir. La lumière montre à l’homme en mal de se révéler ce qu’elle ne peut pas faire et ce qu’il devrait faire, comment vivre au présent qui s’enfuit.
Qu’est-ce que je cherche en écrivant tout cela ? Je ne cherche pas, je fais une fugue. La musique es tun art de la recherche et de la fugue. Le sujet de la fugue se fuit au profit du motif. Je voudrais comprendre le motif du thème. Celui qui sait ce qu’il cherche se condamne à ne pas le trouver. Mais maître eckhart va plus loin : celui qui cherche quelque chose ne trouvera rien. Celui qui cherche quelque chose en dieu ne le trouvera pas. Et celui qui cherche Dieu cherche déjà quelque chose alors que Dieu est la Personne ou le Principe le plus contraire à la réification. Celui qui, directement ou indirectement, rend sa recherche transitive, anéantit sa recherche. C’est dire que celui qui croit que la phrase est faite pour apposer un prédicat au thème ou un complément au sujet commet une terrible erreur. La phrase n’est pas active et complétive, elle est attributive et statique. Bergson avait tort de croire que l’action était au cœur du verbe. Au cœur du verbe est l’état, mais il faut beaucoup marcher pour trouver une statique. Marcher ne donne pas seulement des sciatiques, mais propose une statique. Il faut beaucoup marcher avant de persévérer dans son être, tel qu’en soi-même, l’éternité nous fige. La statuaire est la viséedu message, mais il faut faire beaucoup de gymnastique pour devenir une artiste statue. Le mouvement n’est pas ultime, mais il est nécessaire. Le mouvement est nécessaire à créer les liens par lesquels les messages s’apprivoiseront dans la télépathie générale. Mais avant que cela n’arrive, toute recherche est une fugue. Je me suis toujours dit que c’était la première fois. Aujourd’hui encore, je veux croire que ce n’est pas la première fois que je fais une fugue, que j’écris en ne sachant pas où je vais et en espérant que cela deviendra quelque chose, que j’ai commencé par le commencement en espérant que le commencement me conduira vers la fin. Je ne sais pas si c’est déjà pour cette fois, mais cette fugue me fait du bien. Comment aurait-on pu commencer par : « Je m’ennuie et le net est calme » il y a quelques années ? Ce n’est pas en vain que les internautes parlent de navigation. Le net, c’est notre nouvelle mer cérébrale. François Fillon a raison, ce n’est pas essentiellement une mutation technique, c’est un changement dans l’étoffe du monde. Autrefois nous priions pour soutenir le monde. Aujourd’hui nous sommes connectés au monde que nous soutenons. Le net est notre mer cérébrale et nous nous interpellons à travers la mer. Les bouteilles que nous y lançons font écho. Jamis nous ne nous sommes interpellés avec tant d’échos. Il y a toujours des résonnances dans un message. Un message qui serait sans résonnance et ne s’inscrirait pas dans la télépathie générale ou qui n’ajouterait rien au Livre de vie serait dans la vacuité. L’ellipse est une forme de vacuité, même si l’elliptique est l’orbite dans lequel tourne la terre sans que nous sentions sa rotation. La fugue n’est jamais une éructation. Le net est la révolution du message qui pouvait accompagner la régression du livre dans cette quantité minimale de langage et de verbalisation. Le net est un changement dans l’étoffe du monde, dont d’autres indices sont l’hyperactivité des enfants et le fait qu’il soit devenu courant que l’on fasse plusieurs choses à la fois. D’aucuns en concluent que l’intelligence humaine a acquis une faculté supplémentaire dans la grande adaptation de l’espèce. C’est une autre manière de ressusciter le terrible surhomme, tellement contondent qu’il devrait mériter à la planète de se débarrasser de l’humanité. Chaque époque a connu un changement dans son étoffe, une révolution mentale qui amène un changement dans la mentalité. La spécificité de cette révolution mentale est qu’elle est cérébrale. Elle conforte le matérialisme dans l’illusion que le cerveau est la couronne de l’esprit. Mais le cérabralisme de ce changement d’étoffe es moins adaptatif et moins étendu que spatial et reptilien. La révolution du message et de la navigation est reptilienne dans la mesure où elle s’accomplit dans l’espace intérieur qu’elle virtualise et communique. J’étais fait pour voir le ent se substituer à la mer, qu’elle soit maritime ou séculière. J’étais fait pour y assister ou pour l’accompagner, car je suis un nom cérébrale en rupture d’incarnation, qui ne porte nulle couronne, mais me déploie à grand-peine dans un espace intérieur saturé. Je n’approuve ni ne condamne ce changement d’étoffe. Mes phrases ne jugent pas, ne choisissent pas, n’éliminent pas, n’excluent pas, elles décrivent en esquissant vaguement une opinion. Mes phrases esquivent en esquissant. Elles sont saturées de ne pas juger et de ne pas éliminer. La phrase est un appel de volonté dans un être mémoriel à l’érection de son message en choisissant et en éliminant pour se situer au sein de la télépathie générale. Les phrases sont une métrique par leur refus du chaos. Les phrases ne veulent pas attribuer par culte de la statique, mais par volonté d’introduire de la héirarchie dans l’anarchie. Les phrases respectent l’anarchie, mais elles veulent la hiérarchiser.
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