vendredi 12 août 2016
L'espace mental
(Roman d'un phraseur, IV).
Il est curieux que, peu de jours après que j’eus commencé ce ROMAN D’UN PHRASEUR, je me sois inscrit sur Twitter. Je l’avais fait pour surprendre un raciste dont j’avais défendu la liberté d’expression en me demandant si j’avais bien fait. Sur Twitter, on chasse de race. Ce raciste qui est un énarque forme des raisonnements très brillants à l’oral et se métamorphose sur ce réseau social de la phrase où il écrit des horreurs. Sur Twitter, on gazouille comme des rapaces. Ce raciste avait élu ce réseau social où il passe toutes ses journées et écrit ce qui lui passe par la tête, parce qu’il correspondait à sa tournure d’esprit. Twitter est le réseau social de la phrase où l’on chasse de race en fondant sur sa proie. Ceci est circonstanciel et suffira à donner son caractère romanesque à ce qui ne se voudrait pas une méditation ennuyeuse sur la phrase abstraitement considérée. Mais depuis qu’on écrit comme Roland Barthes, qui se vantait d’apporter à ses auditeurs du collège de France un matériau bien « racé » tout en se demandant si la langue était fasciste comme je peux me demander si la phrase est raciste en voyant l’usage qu’on en fait sur Twitter, on ne sait plus écrire des romans, et on se perd en conjectures abstraites sur le matériau narratif. Dans son JOURNAL DE DEUIL, Barthes raconte que souvent, sa maman lui disait : « Mon Roland » et qu’il aurait préféré qu’elle lui dise : « Mon roman ! » Sur Twitter il ne fait pas bon être un chat noir. Moi qui ai peur des animaux, je ne les ai jamais observer, comme la mère de Roland Barthes ne lui a jamais fait la moindre observation. Du coup je ne sais pas si les chats noirs mangent aussi les oiseaux de proie ou si les oiseaux de proie fondent sur les chats noirs. Je n’ai pas l’instinct de le savoir, car je suis moins chat noir que mouton. Mon raciste me prendrait pour un mouton dans la baignoire. Je n’ai pas fuit huit assaillants quand ils me sont tombés dessus au coin d’une rue nocturne et désertique. J’ai peur des animaux, mais je n’ai pas peur des chiens ni des racistes. Je crois n’avoir encore soulevé aucune question depuis que j’ai commencé d’aligner ces phrases. Lea circonstance par laquelle il s’est trouvé que je me suis inscrit sur Twitter deux jours après que j’ai commencé ce roman d’un phraseur est-elle un élément digne d’être narré ? Constitue-t-elle de façon suffisante une de ces coïncidences par lesquelles le destin et la circonstance se retrouvent par synchronicité et se conjoignent par attraction électrique pour créer une péripétie ressemblante au message émanant de la personnalité dont ils machinent les tribulations ?
Twitter est le réseau social de la phrase et de la décadence du message. Le livre a décliné en texte qui a dégénéré en message. Le messagea dégénéré de non seulement ne pas se développer en discours, mais de fondre sur son sujet pour en dire tout le mal qui nous en passe par la tête, . Twitter est le réseau des oiseaux qui, au lieu de prendre de la hauteur et de se déployer dans un ciel plein de sens, choisissent d’être des oiseaux de proie sans envergure que leurs ailes de géant n’empêchent pas de voler. « Le soleil brille dans un ciel sans nuage ». Telle était la phrase que je trouvais, enfant, à la fois la plus descriptive et la plus pleine de lieux communs qui fût dans la littérature de jeunesse. Je n’ai jamais vu le soleil de mes yeux et n’en saurais mieux dire. Il me semble qu’Albert Simon répétait tous les jours : « Le ciel sera nuageux dans l’Est avec des giboulées dans le Nord. » Albert Simon n’était pas un aigle, mais il grasseyait d’une façon inimitable. Mme Soleil était l’astrologue de la matinale dont il était le météorologue. Je ne savais pas que la mère Soleil s’appelait Germaine. « Le soleil brille dans un ciel sans nuage » me paraissait la perfection de la phrase descriptive. J’aimais qu’elle ne fût pas éblouissante comme serait prétentieux l’envol des twittos si ces pierrots clownesques de l’opinion péremptoire se prêtaient à ce qu’en dit ma plume : les oiseaux se déploient dans un ciel plein de sens. L’horizon s’élargirait dans l’épaississement du mystère. Mais les rapaces de Twitter ne prennent pas de hauteur. Je me suis inscrit sur Twitter pour écrire des synthèses fulgurantes et fragmentaires. La fusion des twittos qui ne sont pas des aigles n’est pas le caractère fusionnel des amoureux transis, qui ne croient pas en la coïncidence des opposés, ni que Dieu crée en séparant, et ménage le caractère déceptif des relations entre les parents et les enfants. La mère de tous les vivants eut tort de s’écrier : « J’ai acquis un homme » lorsqu’elle mit au monde Caïn. Ce criant, elle se condamnait à ne pas l’aimer, puisqu’elle voulait le posséder et non en être possédé. Les mères couvent, mais n’aiment pas leurs enfants. Caïn était un twittos. Il posait des questions assassines comme : « Suis-je le gardien de mon frère ? » avant, chassé du paradis, d’aller chasser de race en construisant des villes souterraines.Les civilisations seraient nées du paradis perdu. Caïn était un twittos et Eve n’a pas bien crié à sa naissance. Lorsque, se réveillant du sommeil mystérieux où Dieu l’avait plongé comme il Lui demandait de l’aide, Adam vit Eve à ses côtés, il s’écria : « Voici la chair de ma chair et l’os de mes os ! » S’était-il exclamé plus adéquatement qu’Eve n’avait accueilli la naissance de caïn ? Adam avait défini les paramètres de l’amour fusionnel au lieu de comprendre que la femme lui avait été crée de côté, latéralement et non comme son double. La femme n’est pas le second terme de l’homme frontalement divisé. L’homme est la tête et la femme est le cœur. Adam avait paramétré un amour fusionnel dans la nostalgie des âmes sœurs androgines de manière à permettre aux twittos, oiseaux de proie sans envergure, de fondre sur leur proie en phrases assassines. On ne sait de fusion qui ne fasse d’étincelles quand les épidermes se frottent comme deux silex.
Je n’ai jamais cru en la préhistoire. Platon n’a jamais expliqué comment les hommes faisaient pour descendre et remonter de la caverne alors qu’on n’y avait pas aménagé d’escaliers. Ils ont mis un temps fou pour inventer l’outil. Aujourd’hui, les twittos ont le culte de l’ustensile. L’homo ingrediens n’était guère futé en affûtant ses massues à l’âge de la pierre taillée. Nous serions passés de l’âge de pierre à l’âge cybernétique de l’âme cérébrale en y perdant la politesse. Mais ce qui rend la préhistoire encore plus inconcevable est qu’on ait mis si longtemps à découvrir le feu alors qu’il suffisait de regarder les silex. Mais l’amour est d’un métal que sa fusionrend long à corroder. C’est pourquoi les hommes furent longs à comprendre comment faire des étincelles. Nous sommes la première époque fulgurante de l’espèce évoluée. Que nous nous appelions sapiens sapiens est un contresens philosophique. Comment Socrate a-t-il pu nous révéler que nous ne savons rien, sinon que nous ne savons pas, pour que nous tuiions le père philosophique en nous appelant sapiens sapiens ? ET Descartes était un bollos, pour avoir désigné du nom de sujet le « cogito ». Le sujet qui proclame son autonomie est plus dhimi qu’un musulman soumis au « tout miséricordieux ». Il ne nous suffit pas de confondre les langues en construisant Babel qui ne cassait pas des briques : la confusion des sens nous a fait prendre un mot pour un autre, et nous lui avons fait dire le contraire de ce qu’ildisait.
Le ciel ne casse pas des briques. Il vole bas comme les hyrondelles quand il pleut. Quand les corbeaux volent bas, c’est gros temps pour les charognes. Non, mon raciste, je ne suis pas une vermine. Les racistes sont un peu vermifuges. Je dois à mon côté fusionnel de croire que je pourrais me reproduire par scissiparité. Le fusionnalisme androgynal joue à n’avoir jamais fait le deuil d’être séparé, fait des mains et des pieds pour retrouver son âme sœur, mais croit très égoïstement qu’on n’a pas besoin de pénétrer l’autre pour se reproduire. Le paradoxe vient se nicher partout. Je laisse les racistes chasser le lapereau. Ce ne sont pas des aigles, mais ils peuvent courir deux lièvres à la fois. Pour moi, j’énonce les paradoxes et dénonce l’équivoque. Méfiez-vous des gens qui se disent inconsolables, ce sont des agents propagateurs de l’épidémie du chagrin. Le chagrin n’est pas la pitié. Celui qui vous dit qu’il se meurt de chagrin n’aura jamais pitié de votre peine. L’équivoque est partout, comme le paradoxe. L’homme fut puni par la fusion des langues d’avoir voulu monter jusqu’aux cieux qui ne cassent pas des briques. Mais l’équivoque ne résulte pas de la confusion des langues. L’équivoque a enchâssé toute une polyphonie de sens dans un mot tellement contrapuntique qu’on le dirait des homonymes. L’équivoque procède de la confusion des signes. Les signes ne sont pas arbitraires. Ce n’est pas arbitrairement que les sens ont choisi des mots. Les anagrammes de saussure ont fait litière de l’arbitraire du signe, pourtant proclamé en exergue de la linguistique. Les sens ont été attirés aux signes par des champs magnétiques, comme tout ce qui a trait à la lumière, par la même raison que la fée électricité nous a donné l’éclairage. L’électricité n’est pas la lumière. Mais comme tout ce qui éclaire procède de l’électricité, la lumière est devenue électrique. C’est par aimantation que les sens ont sélectionné des signes, et Dieu n’a cessé de nous faire signe, tout en brouillant la langue des signes. Les sourds se signent, mais la désignation de leur infirmité par la surdité a même racine que l’absurdité. La langue des signes et les synchronicités nous attirent pour qu’à la fois nous sachions que Dieu nous fait signe, et pour que nous ne les comprenions pas. La langue des signes a été inventée pour que les sourds ne comprennent pas. Sartre n’a jamais pu aller jusqu’à écrire du théâtre de l’absurde, car Simone de beauvoir et lui faisaient trop confiance au langage. Le castor l’écrit dans ses mémoires. Le castor ne comprenait pas Roland Barthes, et Roland Barthes ne comprenait pas lelangage, il n’a fait que se rouler dedans. Il ne faut pas écrire pour se rouler dans le langage. Il faut écrire en s’efforçant de ne pas toujours se comprendre et de ne pas toujours être compris, non pour ne pas s’adresser, mais pour révéler que la langue qui nous précède par ses signes, nous dit que l’énigme est déchiffrable, mais que nous ne pouvons pas la déchiffrer. Car si nous déchiffrions l’énigme, nous cesserions de l’aimer. L’horizon s’éclaircirait, mais nous cesserions d’être possédés par le mystère qui s’épaissit. Tout bien réfléchi, « l’horizon s’élargit dans le mystère qui s’épaissit » dit exactement le contraire que : « Le soleil brille dans un ciel sans nuage. » Par contre, je ne peux que me déployer dans un ciel plein de sens. Mais je ne le peux pas, comme les twittos, au risque de la déperdition du message.
Longtemps j’ai cru que le message était une invention moderne. C’était à force de voir le livre décliner en texte et le texte en message. C’était à force de m’entendre demander, par la communication stéréotypée de la téléphonie moderne, si l’opératrice qui n’avait que faire de moi pouvait transmettre un message que j’aurais la bonté de laisser à celui quifiltre mon appel. C’était à force de laisser des messages sur des répondeurs ou d’envoyer des mails. C’était à force de faire des phrases. Je ne me suis aperçu que d’hier que des messages ont été transmis de tout temps. Non seulement le message est vieux comme la guerre (les twittos n’ont rien inventé avec leur belligérence de commentateurs), mais un moyen fut même inventé pour les transmettre. Celui-ci s’appelait le télégraphe, et les messages devaient être rédigés en style télégraphique, au mépris de la langue écrite et de la phrase verbale. Les messages se sont transmis dans un style élyptique. Les messages ont méprisé les phrases en exemptant le verbe. Pascal fut le petit télégraphiste de la probabilité. Ses hypothèses s’énonçaient souvent dans un style élyptique. Son attachement à Port-royal-des-champs le rendait comptable d’une grammaire qui savait que tout nom contient le verbe être. Chercher la substance dans le substantif. Je détestais les phrases infinitives. L’infinitif me paraissait un dévoiement de l’impératif. Le message est vieux comme la guerre. Les twittos les écrivent dans l’urgence d’en découdre. Ils en avalent leurs signes pour faire manger son chapeau à leur contradicteur calomnié. Il en va des messages comme de la lumière. S’il se multiplie, il se perd. Il y a la même déperdition d’énergie dans des messages qui se multiplient que dans la lumière qui devient plurielle. La perfection n’est pas assassine. La concision doit pratiquer des incisions, mais trancher sans découper. L’incision est chirurgicale, ce n’est pas un égorgement. L’incision de la phrase tranchante fait ce que fait l’épée à deux tranchants de la Parole et du Nom de Dieu. La phrase passe le réel au fil de l’épée. Le message doit être enroulé dans le livre, et non pas déroulé dans des phrases sans suite. Trop de tweets fait perdre l’esprit de suite. Le message a de la suite dans les idées. La phrase est un appel de volonté à retrouver la substance dans les noms.
L’époque des machines termine le culte de l’outil commencé dans la préhistoire. Les machines mettent Dieu fustigeait Ses élus de s’adonner aux cultes d’ouvrages faits de main d’homme par des artisans, manieurs d’outils. L’outil machiniste opère un retournement suprême contre l’homme-machine et son intelligence. L’homme-machine intelligent avait inventé l’intelligence des machines pour qu’elle imite l’intelligence humaine. Aujourd’hui l’intelligence artificielle ne se contente pas de donner des ordres à l’homme (ce n’est pas en vain que les machines dotées de cette intelligence algorythmique ont été appelées des ordinateurs), mais elle le prive de sa faculté principale qui n’est pas la raison, mais celle de se poser des questions. L’homme n’est pas un animal raisonnable, c’est un animal qui se pose des questions. Or non seulement les machines lui assignent sa place dans le trafic et dans le TGV, non seulement elles conforment l’homme à leurs options, mais elles l’interrogent et l’homme les reproduit. L’homme ne répond plus à ses intuitions d’enfants, mais aux questions des machines. La relation est devenue l’interaction (Dieu trinitaire et trirelationnel est donc interactif), la télépathie générale devient l’interconnexion, la dépendance à autrui devient l’interdépendance du monde. L’homme est casé et réagit comme une machine en régressant vers le singe à force de réflexes conditionnés. Tandis qu’il intègre de nouveaux habitus pour se délivrer de ses stéréotypes, ses réactions n’ont jamais été plus stéréotypées. La réflexologie plantaire est devenue machiniste. Il n’éprouve plussous ses pieds ni sous sa baguette l’attrait des forces telluriques. Il ne sent plus la terre tourner sous sa houlette. L’homme capax Dei est au pouvoir du Deus ex machina. L’homme, désir d’amour sans la capacité d’aimer, est ordoné à des machines dont les algorythmes peuvent certes prévoir ses pensées et sont capables de connaissances, mais non de sentimentet encore moins d’amour. Les machines donnent du plaisir à l’homme désireux d’aimer. La condition humaine s’adapte aux conditions des machines. Tel serait le dernier mot du matérialisme qui a perdu l’esprit à force de vouloir n’en voir nulle part, alors que tout peut être à la fois matière et esprit, que l’espèce humaine, au dernier stade de son involution, répondant aux questions de ses machines, et ayant perdu toute vision à force d’être prévue par elles, ne parviendrait pas seulement à vaincre le temps et à conquérir l’immortalité par les progrès de sa science, mais créerait un espace inétendu, un espace mentale et une âme cérébrale. Or que vaudrait un corps immortel qui aurait perdu l’esprit à force de ne plus croire en l’immortalité de l’âme ? N’importe qu’il ait vaincu le temps, ce corps immortel aurait encore de la souplesse. Vaincre le temps ne serait pas sa plus grande perte. La plus grande perte de l’homme serait celle de l’étendue. L’homme perdrait le sentiment du bonheur s’il se mouvait dans un espace mental. Le risque était grand que la chose n’arrivât. La subversion des signes ironisait déjà sur cet homme mental s’exhortant de façon lancinante à se méfier du mental au moment où il entrait dans un espace mental. Le risque de l’espace mental n’est pas conjuré. La virtualisation a beaucoup déréalisé nos rapports. Pourtant le risque de l’âme cérébrale dans cet espace mental où l’on se verrait le moins possible est déjà conjuré. Et il a été conjuré par le besoin du message personnel. Il a été conjuré par la déréalisation du texte en message. Il a été conjuré par la télépathie générale transformée en toile d’arraignée. Il a été conjuré par le réseau social de la phrase. Il a été conjuré par tout ce qui favorise la transmission des messages personnels. Tous ces outils, cultuels ou virtuels, inventés par la matière pour mettre l’esprit au centre au risque de déréaliser la relation qui n’a jamais été saine, ont placé l’homme dans un espace mental oùla communication ne se fait plus au corps à corps, sinon que d’âme à âme. Les âmes ont besoin de se lancer des piques et elles se dardent. Elles gazouillent come des rapaces et se lancent des phrases assassines, tranchantes comme un couperet. L’espace mental aurait pu être le lieu de l’angoisse la plus noire, pour l’homme-esprit, perdu dans un espace matériel et mental. Mais le besoin de se piquer a fait se retrouver les âmes des rapaces. Les âmes se calomnient dans des jacasseries messagères. Il n’y a pas de précédent dans l’histoire qu’elles se soient si bien et si directement connues comme des âmes. Hegel n’a pas eu tout faux. L’avènement de l’esprit dans l’histoire ne s’est pas manifesté comme celui de la paix perpétuelle ni de la raison montant, comme de la caverne, une gamme théologique. La mystique a rattrapé l’homme dans son espace mental. L’homme a eu besoin des âmes. L’avènement de l’esprit dans l’espace mental s’est manifesté comme une comunication des âmes. Mais cette communication des âmes est inter-animale. Ce n’est pas celle d’hommes s’incarnant dans une animalité initiatique ou retrouvant les esprits animaux. La communication inter-animale qui a cours dans l’espace mental est celle de singes en régression machinale et d’aigles s’invectivant en prises de bec et phrases sobres.
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