vendredi 25 octobre 2024

L'équidistance divine

Dieu est à équidistance entre la personne et l'idée. Il est à la fois trop grand pour être une personne et trop petit pour être une idée.

Les athées disent que Dieu est un concept. La philosophie et la sagesse sont un roman conceptuel. Mais un concept n'est qu'un contenant. Il ne vaut que par la façon dont il est rempli. Un concept ne nous condamne pas et ne nous approuve pas. Dieu, dans son articulation entre personne et idée, ne nous condamne pas et ne nous justifie pas.

"Mettez en regard le concept de Dieu et le concept de l'amour", me conseille-t-on. "Vous trouverez que Dieu est en vous." Cela ne vaudrait que si j'étais amour. Or je veux tout et je ne fais rien, je ne suis rien et je suis tout, ou plutôt je ne sais pas qui je suis. Seul Dieu est, seul Dieu peut dire "Je suis".

Idem pour l'illusion que "j'avais faim, j'avais soif", les critères du Jugement dernier, seraient faciles à satisfaire. "Il y a des gens qui vous feront toujours croire que vous vous plantez en les aidant", proteste-t-on contre la charité. Admettons, mais je suis janséniste. Je crois que je ne suis jamais à la hauteur de la charité qui n'est pas le plus offrant.

Dieu est à équidistance entre la personne et l'idée. La spiritualité allégorique est extrêmement porteuse, qui personnifie une idée de Dieu dans un "personnage conceptuel", fût-ilJésus-Christ, et la notion d'hypostase, par laquelle on subpersonnalise les trois personnes divines, subsume l'équidistance divine dans le fait que sous la personne est l'idée et qu'au-dessus de l'idée est la personne divine. 

mardi 23 avril 2024

Mon père est mon créancier

Mon père est un créancier. Il l’est au triple titre où il est fondé à s’attendre que j’aie envers lui une reconnaissance de dette et que je me prépare à payer ma dette envers lui en fonction de cette reconnaissance qu’il a souscrite et rédigée pour moi comme d’autres ont rédigé mon avenant au contrat social. Il s’attend aussi à ce que je rembourse celle qu’insolvable, il a contractée à ceux auprès de qui il ne peut pas s’acquitter et qui ne l’ont pas acquitté de ne pas s’acquitter, comme il ne m’acquittera pas de ne pas m’acquitter de ce qu’il doit à ses créanciers ni à lui-même en reconnaissant ce que je lui dois.

Mon père est un créancier qui a écrit pour moi une reconnaissance de dette et souhaite que je remboursesa dette. Mais tout père est aussi et surtout un créancier en ce qu’il ne me parle pas, mais qu’il parle, que le recueil de ses paroles et de ses moralités n’a pas force de loi (mon père ne fait pas la loi), mais le recueil de ses créances est dogmatique, car il comporte tout ce qu’il faut croire.

Tout père est un créancier, non pas tant en ce qu’il veut être cru que parce que je ne demande qu’à le croire et je le crois parce que j’ai une entière confiance en lui. C’est pourquoi plus dure sera la chute quand mon créancier faillira et nécessairement il faillira, comme il est inéluctable qu’il m’en veuille d’avoir oublié, et ma reconnaissance de dette, et de payer sa dette en m’acquittant auprès de ceux qui ne l’ont pas acquitté, et de ne pas l’acquitter à mon tour d’avoir failli et manqué à sa parole d’être sans faille et sans erreur, à sa promesse d’omniscience et de cohérence.

Mais pour lors, mon père parle et il a d’autant plus la parole qu’il ne me parle pas à « moi », mais à « on » en « moi ». Il n’est pas mon législateur, il est mon créancier. Il n’est pas celui qui me dit la loi, il est celui qui me fait croire. Il n’est pas celui qui me parle, il est celui qui parle au « on » en « moi ». Je ne suis pas le seul à qui il parle et il n’est pas seul à me faire dire « je » puisque, sans l’adresse de ma mère qui, elle, s’adresse à moi et me destine ses paroles de reconnaissance, il ne parlerait qu’à ce qu’il y a de plus neutre en moi.

On confond la loi de mon père avec sa parole parce que mon père ne profère que des sentences et des moralités générales, il ne me dit pas à moi ce qu’il faut faire, il se parle à lui-même et à ce qu’il y a de neutre en moi, et la distance qu’il a mise entre sa parole et moi me fait accéder au désir de parler pour lui répondre, de prendre la parole, de prendre possession du langage.

Mon père est mon créancier qui parle à ce qu’il y a de neutre en moi, car s’il peut chercher à compenser en moi son complexe d’infériorité en me rendant responsable de réussir là où il ne s’est pas élevé, il vient avant tout à moi avec un désir de parité. Il a accepté d’être père, parce qu’il cherchait un pair en moi. Il vient à moi avec un désir de parité, d’égalité. Il vient à moi avec son transcendant désir de parité qui m’offre la liberté dans la servitude oula servilité, car mon père peut m’émanciper, il peut me donner l’illusion de la liberté qui lui a manqué. Mais il me la donne avec autorité. Il peut me donner ce que je ne lui prends pas, la liberté avec autorité, mais il ne trouvera jamais le point d’équilibre, cette alliance de la liberté (libre) et de l’égalité (équi), . car quelque libéralité et bonne volonté qu’il montre à faire de moi son pair, mon père ne pourra jamais être mon frère. Sa parole sera toujours transcendante à mon désir de prendre la parole et d’accéder au langage pour lui répondre et répondre à sa proposition d’entrer dans l’écriture en m’offrant son créancier, son recueil de croyances, que je devrais manger, ingérer, ruminer, digérer et m’approprier avant de me positionner en liberté face à la parole de mon père, avant de me situer, avant de savoir où je suis et jamais qui je suis. 

jeudi 22 février 2024

Les instances

"L'autre monde et les preuves matérielles, les spirites qui se croient utiles à la foi. Et enfin, si le diable est prouvé, Dieu, est-ce que ça le prouve ?" *

La question n'aurait pas déplu à Gainsbourg qui, jusqu'à son dernier souffle et jusqu'en son hôtel de Vézelay où il n'expira pas, mais passa le jour d'avant sans entrer dans la basilique, croyait au diable et pas en Dieu, à mon indignation extrême.

"L'autre monde et les preuves matérielles." "Quelqu'un aurait beau remonter de chez les morts, vous ne le croiriez pas", dit le pauvre Lazare au mauvais riche par la bouche de Jésus. Et Jésus en a fait les frais: Il est ressuscité, mais on ne le croit pas, sauf à ce qu'Il se dise puissance de résurrection.

"Le diable est très à la mode", dit le diable du cauchemar d'yvan Karamazov aux petites marchandes qui lui vendent des fioles pour le guérir de ses rhumatismes et autres infections dues au gel des esprits.

Le diable est un pique-assiette aimable toujours prêt à entamer la conversation si le propriétaire de la conscience délaisse ses angoisses ("Dieu veille sur les angoissés") pour lui donner licence de le divertir.

"On m’a fixé de nier alors que je suis réellement gentil et que je ne suis pas du tout capable de nier." Moi non plus, mais j'ai l'esprit de contradiction à couper au couteau tous les cheveux en quatre jusqu'à les écarteler et les faire tirer par quatre chevaux.

"J’ai beau être ton hallucination, comme dans un cauchemar, dit le diable, je dis des choses originales, des choses qui ne t’étaient jamais venues à l’idée et donc ce n’est pas du tout que je répète tes pensées et malgré ça, je ne suis que ton cauchemar."

Tout de même, il y a quelque chose qui cloche, un télescopage sémantique, si le diable est symbolique. Car le symbole unit et le diable divise. Le symbole est le contraire du diabolos.

Et tout de même, le diable est symbolique. Comme les fantômes, il n'existe pas. Mais ça crée un télescopage sémantique, une distorsion entre le mot et la chose, ça tend leur monde commun alors qu'au terme des recherches de Saussure, l'arbitraire du signe débouche sur les anagrammes, où tout est récapitulé, du sens qu'ont les choses signifiées par les signes arbitraires. #ÉtienneKlein ne cesse d'en faire la démonstration dans ses "Anagrammes renversantes".

Mais le diable est symbolique. Enfer et damnation! Si le diable est symbolique, il cesse d'y avoir coïncidence entre les signes et le sens, et le langage ne cesse de rêver à la coïncidence, mais seul cette distorsion lui est donnée, cette disjonction dans le réel entre le matériel et le néant, dans cette langue des signes intraduisible malgré l'Esprit de Pentecôte, dans cette langue des signe que ce n'est pas le diable qui a embrouillé, langue des signes à qui n'est pas donné le bonheur de la traduction, mais seulement les champs magnétiques et les désordres de la synchronicité.

Le brouillage des langues arrivé dans l'échafaudage de la tour de Babel -bien que les langues soient données avant d'être brouillées -et soient données sans don des langues- déréalise le rêve du langage de coïncider avec le réel comme le fait le Verbe, qui le construit. Le Verbe est l'arbre de vie dans le dos du réel. Il en est la colonne vertébrale.

Le diable est symbolique, dans une réunion malencontreuse qui, par rencontre, pourrait faire croire que Dieu le soit aussi.

Mais Dieu ne peut pas l'être, Dieu ne peut pas être symbolique. Car Dieu me soulève au-dedans de moi pour me faire voir les phénomènes et me donner, non l'illusion, l'énergie d'arrêter les orages et d'apaiser les tempêtes en me faisant obéir du vent.

Dieu a mis le ciel en mon âme et me soulève au-dedans de moi, depuis la zone où je rampe pour penser en croyant que je suis.

Je crois savoir, je crois que je ne sais pas, je sais que je ne crois pas, je ne crois pas que je sais, je ne sais pas si je crois...

L'esprit du panantéisme me souffle de demander à Dieu qui est le dynamisme créateur que monte en moi l'Esprit pour ressembler au Christ qui est puissance de résurrection sans que résurrection soit puissance, sans qu'on doive ne s'emparer de la puissance de sa résurrection que pour guérir les hommes qui mourront guéris.

* Dostoïevski, "les Frères Karamazov",livre XI, "le Diable et le cauchemar d'Yvan Karamazov". 

mardi 20 février 2024

La mort de ma grand-mère

Extrait d'un texte en travail.


Explication préalable: je venais d'emménager à Mulhouse auprès de ma grand-mère et étais enfin confié à la garde de mon père quand, quinze jours après la rentrée scolaire...

"Le soir, je descendis partager le repas de mon père et de la marâtre au rez-de-chaussée dont mon père avait repris possession. Ma tante interrompit ce rituel qui s’organisait en me priant de monter sans tarder chez ma grand-mère avec elle. Elle  l’avait eue au téléphone et avait discerné qu’elle faisait une attaque. Elle lui avait raccroché au nez pour se précipiter chez elle. Au téléphone, ma grand-mère n’arrêtait pas de lui dire : « Julien parle ! » Ma tante voulut lui démontrer que je ne pouvais pas lui parler au téléphone si j’étais à ses côtés en chair et en os. 

Ma tante était d’abord venue constater de visu la déréliction de ma grand-mère qui se cramponnait au téléphone à l’idée que je lui parlais. Puis elle eut l’idée cruelle ou saugrenue de pratiquer le contraire d’une démonstration par l’absurde auprès de quelqu’un qui perdait la raison. Elle se servit de moi comme d’un objet objectivantet fit de moi un élément de preuve. 

Je gravis avec elle les dix-sept marches qui nous séparaient de son appartement sans savoir ce qui m’attendait, sinon que l’affaire était grave, pour que ma tante ait osé déranger le repas de mon père et de la marâtre. Dans l’urgence, je n’aurais pas pu décider de ne pas me prêter au jeu, maisj’aurais préféré être mieux informé pour ne pas lui infliger cette ultime déconvenue que je ne cautionnais pas. Ma grand-mère restait prostrée, combiné en main. « Tu vois bien que Julien ne peut pas te parler au téléphone puisqu’il est là devant toi, dans la pièce. »

Que pouvait-elle bien entendre de ma « Voix humaine » si loquace et qui la skotchait ? Que pouvais-je bien lui dire ? De quoi devais-je parler à quoi elle ne pouvait répondre ? Je crois qu’elle perdit pied parce que mon père venait de lui arracher le cœur en refusant sa visite impromptue après quinze jours de vacances au Maroc et qu’englué dans mon adolescence qui montait sans excès de libido, mais avec une volonté de destruction là où elle n’avait cherché qu’à me construire par la foi, le petit-fils qui venait vivre auprès d’elle ne lui parlait plus, elle ne le reconnaissait pas. Elle ne pouvait se résoudre à vivre entre silence et déchirure comme les trois ours que nous allions devenir, mon père qui allait bientôt quitter sa duègne pour endosser son rôle à contre-temps, mon frère et moi, allions le faire jusqu’à l’absurde deux années durant. 

Convaincue et déconcertée, ma grand-mère ne lâcha pas son téléphone et lança à ma tante un dernier défi en lui lançant comme un enfant : « C’est pas fini, c’est pas fini ! » Je mesurais tout le dépit qu’il y avait dans ces dernières paroles résolues prononcées par ma sainte grand-mère dans l’enceinte de son domicile. Mais si, c’était fini et ma tante appela le SAMU. L’ambulance fut bientôt là. On descendit ma grand-mère sur un brancard et mon père observait la scène, impuissant. 

Ma grand-mère survécut dix jours à l’hôpital. Elle aurait pu récupérer de son accident vasculaire cérébral, mais mon père ne lui souhaitait pas de devenir un légume. Son impatience légendaire l’aurait empêché de le supporter. Ma tante et lui se relayaient pour venir lui donner à manger. Ma grand-mère prétendait que mon père était beaucoup plus patient que ma tante et ça devait être vrai, car une des qualités communes à mes deux parents était qu’ils assuraient toujours dans les coups durs. 

Ma grand-mère ne mourut pas des suites de son attaque cérébrale, mais fut emportée par une pneumonie, sans doute imputable à un courant d’air provoqué par une femme de ménage qui avait voulu trop aérer la chambre en la faisant. Toujours chercher le lampiste ou l’erreur médicale ! Est-ce que je sais, moi, pourquoi je suis aveugle ? Ce serait à cause d’un médecin qui a voulu m’opérer de la cataracte à trois mois. Beaucoup trop tôt, lui reprochait ma mère. Et puis après ? Si j’avais vu clair, me serais-je condensé dans ma vie intérieure ? Sans cette condensation, la vie ne m’aurait pas intéressé. J’aurais été mieux adapté socialement, mais j’aurais été plus banal. J’aime mon inadaptation, à l’encontre de mon père qui répétait souvent qu’il faut banaliser sa vie. 

Il y a la banalité du mal et l’exception du bien. J’ai mal mené ma barque, mais j’ai conduit mon frêle esquif dans la tourmente où je suis né. J’étais né pour affronter cette tempête inapaisée et ramer à contre-courant. 

Jean-Baptiste a tressailli dans le sein de sa mère quand Jésus est venu le visiter et le reconnaître en Marie. Mon amie Nathalie a tressailli dans le ventre de sa mère quand la foudre est tombée sur la voiture de ses parents et depuis elle a toujours eu peur de l’orage. Quand nous allâmes chercher les saintes huiles consacrées à la messe chrismale en vue de sa confirmation avec le prêtre qui nous avait conviés à cette cérémonie, la foudre coupa l’électricité de tout le secteur attenant à la cathédrale. Comme s’il y avait des gens qui naissaient pour être foudroyés ! Et dans la cathédrale, l’organiste qui allait bientôt devenir un de nos meilleurs copains joua sur des registres si nasillards qu’une autre compagne de voyage aux pieds détrempés qui souffrait de troubles psychiques, se tourna vers moi pour me dire son malaise qu’on pût jouer pour inconforter les genssous les voûtes d’un tel édifice, un jour où tout avait sauté. 

Un soir, ma mère et moi allâmes rendre visite à ma grand-mère. Ce n’était pas notre tour de quart, nous faisions ça pour le faire, par envie de le faire. Ma grand-mère avait fini par aimer ma mère et par lui pardonner le mal qu’elle ne lui avait pas fait. Ma mère n’était que son ex-belle-fille et n’était pas chargée de lui donner à manger. Ma mère était toujours à l’affût des erreurs que pouvaient faire les infirmières et releva le courant d’air. 

Tout à coup, surgit une sœur de l’aumônerie où ma grand-mère était très engagée. Elle resta à peine cinq minutes. Pour prendre congé, elle lui dit : « Au revoir, Madame W, bientôt nous nous retrouverons au ciel. » Ma mère et moi fûmes stupéfaits de tant de brutalité. Comment pouvait-elle savoir que l’échéance était si proche ? Elle n’avait pas encore contracté sa pneumonie fatale, même si je crois qu’un respirateur artificiel l’aidait déjà à éliminer ses glaires. Quelque chose me disait que cet adieu brutal était prémonitoire. Il manquait aux convenances, mais pas à la décence. 

Ma grand-mère avait toujours vécu en « invitée du ciel ». La lampiste qui avait provoqué le courant d’air lui faisait gagner un temps précieux pour se trouver à la table du banquet céleste où, comme à ce repas paroissial où nous rîmes tant de nos bévues répétées à l’indignation des bourgeois éclaboussés qui nous entouraient, elle renverserait, n’y voyant pas très clair, du vin nouveau sur un commençal paradisiaque qui n’y verrait pas malice. Ma grand-mère avait toujours vécu en « invitée du ciel ». Elle y alla tout droit. 

vendredi 8 décembre 2023

L'Immaculée conception

Très belle fête que celle de l'Immaculée Conception. Très belle et si mal comprise, voire souvent ridiculisée.

Il y a d'abord la confusion classique entre l'Immaculée Conception et la conception virginale de Jésus dans le sein de Marie, confusion qu'il faut redresser en rappelant que l'Immaculée Conception désigne Marie comme la seule créature préservée du péché originel dès avant sa naissance. Ce qui soulève immédiatement une autre objection: "Mais alors son Fiat n'a aucun mérite." Au contraire. Car le péché ne consiste pas à dire "non", il consiste à ne dire ni oui ni non. Il y a une dimension du péché qui tient à la médiocrité. En étant préservée du péché originel, Marie était préservée de la médiocrité. Elle pouvait dire ou oui, ou non, et elle a dit oui.

Mais ce n'est pas tout. On dit que la mort vient du péché. Je préfère cette citation du Siracide: "C'est par l'envie du malin que la mort est entrée dans le monde." Cela revient au même. Or le dogme de l'Immaculée Conception précise que "c'est par une grâce tirée de la mort de Son Fils que Marie aurait été préservée du péché." C'est donc par une conséquence du péché que Marie a été faite "plus jeune que le péché", selon le mot de Bernanos. Et préservée par son Fils, à la fois Verbe co-éternel au Père" qui "épelait le Nom de Marie" dans le sein du Père (Claudel, "le Partage de midi") bien qu'Il fût un être plus jeune qu'elle selon la chair et selon l'humanité.

Marie est préservée du péché originel, mais ce n'est pas pour plastronner au son des cantiques triomphants de la surenchère mariale. Marie, parce que cette grâce est issue d'après le péché et surtout de "la mort de son Fils", est consciente ou sait inconnsciemment dès l'annonce de l'ange qu'elle va enfanter "un être pour la mort", que cet enfant va la transpercer du glaive de son indépendance ("qu'y a-t-il entre toi et moi?"), qu'à peine Jésus sera-t-Il né, le dragon de l'Apocalypse cherchera à le dévorer et qu'elle-même sera retirée au désert de l'attente infinie de l'incomblement maternel.

C'est-à-dire que Marie, en prononçant son "fiat", dé-pèche la maternité. Elle est la nouvelle Ève parce qu'elle fait le chemin d'Ève à l'envers: quand Caïn est né, Ève s'est écriée: "J'ai acquis un homme" et ce cri maternel l'a rendu criminel. Marie s'est dépossédée et sa dépossession a entraîné la naissance de celui qui apporterait à l'humanité "l'abondance du rachat". 

L'autorité d'un pauvre

Il y a ceci que je me suis dit, ce mot qui m'est venu: "l'autorité d'un pauvre". Les pauvres quelquefois vous parlent avec autorité. Ils vous disent des choses essentielles et ils vous le disent avec autorité.

J'ai un ami pauvre comme ça (Serge il s'appelle) qui m'a dit deux choses essentielles: "Dieu veille sur les angoissés" (il parlait de lui) et "tu iras au ciel où tu joueras de l'orgue" (il parlait pour moi et veillait à calmer mon angoise). Et il me l'a dit avec l'autorité d'un pauvre.

Les pauvres, on en parle avec condescendance. On en parle comme de "nosseigneurs les pauvres." Mais on ne pense pas à leur autorité. On ne pense pas que leur parole a l'autorité d'un pauvre et que cette autorité vient de Dieu même, qui a fait le ciel et la terre et qui d'autorité a identifié sa parole aux leurs. 

samedi 21 octobre 2023

L'enfance

(écrit grace à l'émulation réseau-sociale d'un texte de Philippe Hourcade disponible ici:


Ce soir, j'ai "joué" (à l'orgue et j'ai joué comme un enfant) ou accompagné une messe où le prêtre disait pour introduire le "Notre Père": "Jésus est le premier des enfants, c'est pourquoi Il nous a appris à dire "notre Père"."


Jean-Yves Tadié disait que Nathalie Sarraute, en écrivant "Enfance", sans doute son chef-d'oeuvre, s'est montrée une "musicienne de nos cilences".

La meilleure définition que jaie jamais entendue donner de l'autre est ce que m'a dit une soeur des enfants: "Ils sont tout entiers dans ce qu'ils font" et parce qu'ils sont immédiatement dans la spontanéité, ils sont dans l'altérité sans le savoir.

"Si vous ne devenez comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux." Ste Thérèse de Lisieux a puérilisé, a bétifié le propos en parlant de la voie d'enfance comme d'une "confiance" abandonnée entre les bras du Père hors de toute turbulence et jusqu'à être "une petite balle" entre les mains ou sous les pieds de "l'enfant Jésus".

l'enfance n'est pas que puérile, elle est virile. Viril est ce qu'a dit Sartre de l'enfance de l'orphelin de père qu'il était: "Tout orphelin est un dictateur." ("Les mots". L'Enfant Jésus auquel s'offrait la petite Thérèse ne négligeait pas d'écraser sa petite balle.

L'Eglise désabusée des abus commis sur les enfants a accusé l'immaturité de ceux qui n'avaient pas su devenir adultes, dans l'ignorance de la "culture de l'abus". Oui mais être désabusé, c'est aussi refuser d'être sauvé. Croire qu'on est sauvé, c'est se laisser abuser.

Scandale de l'enfance à la recherche d'un langage où le Verbe, où le Logos adulte veut passer le langage qui passe au fil de l'écriture qui "regarde passer le langage" tellement déterminant (Roland Barthes), qui passe et puis l'oublie, car comme l'écrivain qui oublie tout ce qu'il a écrit, l'enfant ne veut pas retenir, à la différence du Logos des adultes qui veut tout expliquer.

L'enfant n'est pas porté au pinacle par ses parents hors de tout caprice, mais le miracle de l'amour parental est de le porter au pinacle au sein de son caprice. Et puis le miracle se perd et parents et enfants se déçoivent mutuellement. La déception est la corrosion de l'illusion perdue du miracle.

"Lorsque l'enfant paraît", ses parents oublient que lui aussi participe du péché originel. L'enfant est lui aussi un "pervers polymorphe".

L'humanité est une et l'enfance en est un âge, mais l'humanité est en nage et elle nage à l'étroit, l'enfance n'avance plus au large.

Je comprends que l'enfant rêve d'être le premier dans la compétition, mais je n'aime pas la citation de Bernanos qui dit que le premier à nous chercher au lieu de l'avare Achéron doit être "le petit garçon" qu'a été le boy-scout, en tête de la troupe, come si ceux qui nous justifient après le Christ n'étaient pas nos proches qui nous ont le plus aimés. Nous sommes individualistes jusque dans la manière dont nous voulons être emportés dans notre passage et dans notre "échappement". Notre enfance n'est pas la compagne de notre "bonne mort", même si elle est souvent la compagne de notre morbidité.

Elle m'attriste, cette nouvelle matrice de l'Eglise qui ne croit pas plus au miracle qu'elle ne veut de l'enfance au nom de la maturité qu'aurait le Christ adulte, malgré son être-Fils déclaré dans tous les pores de l'Evangile jusqu'à la plus servile des obéissances à la Volonté paternelle indiquant la direction et orientant la loi de son être.

L'Église a tué le Fils, mais le Fils n'a jamais tué le Père, et pourtant ce n'est pas une solution que de se poser en fils, j'aimerais connaître une religion de la désaffiliation, moi qui n'ai jamais été un enfant.

Ce qui me reste de l'enfance, c'est la nostalgie d'avoir été blessé au point de reproduire et de blesser à mon tour. J'ai été ému jusqu'aux larmes par ce dénouement d'un roman japonais où les héros amoureux se réveillaient en ayant conscience de sertir leurs enfances blessées dans leur amour.

Mais l'enfance est d'abord un vécu de liberté. L'enfance qui refonde une confiance inaugurale sur une liberté qui n'a jamais été vécue est une fiction de l'âge adulte, et je suis bien parti pour être "vieux sans être adulte", comme "les Vieux amants" de Jacques Brel que j'ai toujours aimé . 

"La divinité chrétienne" selon Gilberte Périer, soeur et biographe de Blaise Pascal

Voici comment Gilberte Périer résume la pensée de son frère Blaise Pascal

(j'ai conservé la graphie en Français du Grand siècle bien que j'aie ménagé des paragraphes pour l'intelligibilité du raisonnement. Attention, extrait superbe, morceau d'anthologie, un texte maître-à-vivre, :


"La Divinité des chrétiens ne consiste pas seulement en un Dieu simplement auteur des veritez geometriques et de l’ordre des elements ; c’est la part des payens. Elle ne consiste pas en un Dieu qui exerce sa providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse suitte d’années ; c’est la part des Juifs. Mais le Dieu d’Abraham et de Jacob, le Dieu des chrestiens est un Dieu d’amour et de consolation : c’est un Dieu qui remplit l’ame et le cœur de ceux qui le possedent. C’est un Dieu qui leur fait sentir interieurement leur misere, et sa misericorde infinie ; qui s’unit au fond de leur ame ; qui les remplit d’humilité, de foy, de confiance et d’amour ; qui les rend incapables d’autre fin que de luy mesme. Le Dieu des chrestiens est un Dieu qui fait sentir à l’ame qu’il est son unique bien ; que tout son repos est en luy, qu’elle n’aura de joye qu’à l’aymer ; et qui luy fait en mesme temps abhorrer les obstacles qui la retiennent, et l’empeschent de l’aimer de toutes ses forces. L’amour-propre et la concupiscence qui l’arrestent luy sont insupportables, et Dieu lui fait sentir qu’elle a ce fond d’amour propre et que luy seul l’en peut guerir.



Voilà ce que c’est que connoistre Dieu en chrestiens. Mais pour le connoistre en cette maniere, il faut connoistre en mesme temps sa misere et son indignité et le besoin qu’on a d’un Mediateur pour s’approcher de Dieu et pour s’unir à luy. Il ne faut point separer ces connoissances, parce qu’estant separées, elles sont non seulement inutiles, mais nuisibles.


La connoissance de Dieu sans celle de notre misere fait l’orgueil. Celle de notre misere sans celle de Jesus Christ fait nostre desespoir ; mais la connoissance de Jesus Christ nous exempte de l’orgueil et du desespoir ; parce que nous y trouvons Dieu, seul consolateur de notre misere, et la voye unique de la reparer.


Nous pouvons connoistre Dieu sans connoistre notre misere, ou notre misere sans connoistre Dieu ; ou mesme Dieu et notre misere, sans connoistre le moyen de nous delivrer des miseres qui nous accablent. Mais nous ne ouvons connoistre Jesus Christ, sans connoistre tout ensemble et Dieu et notre misere ; parce qu’il n’est pas simplement Dieu, mais un Dieu reparateur de nos miseres."


https://fr.wikisource.org/wiki/Vie_de_Monsieur_Pascal/Vie...


J'avais lu la "Vie de Pascal" écrite par François Mauriac, mais c'est la lettre apostolique d'un autre François sur Pascal qui m'a donné envie de me plonger dans cette source primaire et je ne le regrette pas, même si Gilberte n'est pas sans succomber à la tentation d'ancrer son frère et la légende familiale dans la légende dorée.


Mais qu'est-ce qui a pu donner envie au pape François de célébrer Pascal? Le pape jésuite, adepte de la spiritualité du "Pacte des catacombes" (cf. après-midi des Pères et des mères synodaux), converge avec le pamphlétaire janséniste passé maître dans la résolution et dans la contemplation des mystères, pour dénoncer le semi-pélagianisme, qui croit que l'homme est capable de rien par ses seules forces.


L'option préférentielle du chef d'une "Eglise pauvre pour les pauvres" qui la détourne en l'appauvrissant de la "mondanité spirituelle" tout en feignant de parler comme les grands de ce monde, rencontre le génie scientifique transpercé par Dieu, qui a converti ses spéculations en faisant du "Connais-toi toi-même" un chemin d'humilité et un milieu entre la connaissance de l'univers et la connaissance de sa misère; en ne se percevant plus soi-même comme une expansion réfléchie de l'univers; et, dans cette humiliation de se voir assigner une limite infligée par l'Infini, dans cette "plaie", dans cette brèche "ouverte" par la connaissance de sa misère qui est le propre de l'homme, là où l'amour-propre est le sale de l'homme restant seul et livré à lui-même, grain de blé qui ne veut pas mourir (au lieu d'apprendre à passer... à autre chose qu'à son "moi haïssable"), en rencontrant Jésus-Christ dans cette plaie, comme le réparateur de nos misères, Dieu médiateur et consolateur, indispensable complément métaphysique (pour l'entendement humain, s'entend!) au Dieu créateur. 

lundi 7 août 2023

Ressuscités ou transfigurés

Dans l’Évangile de la Transfiguration partagé et hier, en la fête de l'événement,quelque chose m’a frappé. Pierre, Jacques et Jean sont « pris » avec Jésus et emmenés « à l’écart » pour être les témoins d’une « ciélophanie » comme seul peut-être Moïse en a été témoin et comment réagit Pierre ? Impulsif et actif comme à son habitude, il se demande ce qu’il doit faire. Là où tout autre se serait prostré la face contre terre. C’est pour le calmer (hypothèse par exagération!) que la voix descend du ciel et dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le. » « Calme-toi et écoute! » L’extase suit la claire audition de cette voix. 


Le prêtre ne manqua pas de souligner que non seulement Jésus, mais chacun de nous était un enfant bien-aimé du Père, ce qui justifiait son apostrophe : « Bien-aimés du Père », chaque fois qu'il s'adresse à ses paroissiens depuis son arrivée, ce qui semble en avoir étonné plus d'un . 


Concernant Jésus, la révélation de l’amour privilégié du Père pour l’unique engendré contient pour nous une invite à écouter sa Parole, Parole de Dieu qui devient le centre de la vie de l’Église d’aujourd’hui, au détriment des christophanies postérieures à l’Évangile : les révélations privées ne sont pas objets de foi. Je comprends mieux, à la lumière de cette invite du Père devant son Fils transfiguré,  ce rôle central dévolu à la Parole de Dieu dans l’Eglise..


« Mais, ajouta le prêtre, si chacun de nous est un « enfant bien-aimé du Père », cela doit nous conduire à considérer chacun de ceux qui nous entourent comme des frères et des sœurs." Ce qu’il omettait de dire était qu’alors, cela induisait aussi que nous devions les écouter. Nous faisons grand cas de la parole de Dieu, mais relativement peu de cas de la parole de nos frères, l’histoire sacrée de chacun écrivant le grand Livre de vie qui complète le livre de la Création (les merveilles de mère Nature) et le recueil de la Parole de Dieu qu’est la Bible.  


Le prêtre termina en nous demandant comment on distinguait le jour de la nuit et cita un sage africain pour qui que ce n’était pas par le lever ou par le coucher du soleil, mais par la reconnaissance que chacun de ceux qui m'entourent est mon frère ou est ma sœur. « Voici, conclut-il, la transfiguration de ce monde auquel nous ouvre cet Évangile, avant-goût de ce qui nous attend dans la vie future". 


Ce lien avec notre attente finale m'a interpellé, car nous sommes tellement habitués à nous imaginer la vie future en termes de résurrection que nous n’imaginons pas qu'il serait encore plus d’être transfigurés que de nous retrouver à l’identique, miraculeusement reconstitués par la résurrection de la chair, mais reconstitués en corps glorieux. La transfiguration est un avant-goût de la résurrection, mais le signe avant-coureur n’est-il pas  préférable à la réalité promise ?

 

jeudi 4 mai 2023

L'affection

"Il y a toutes sortes d'amour et à l'intérieur de chacun d'entre eux, une infinité de degrés et de paliers qui s'appellent : affection , adoration , attachement , inclination , tendresse , passion et le reste .

Jean Simard ." 


16 octobre 2004

 

Les trois piliers de l'amour durable sont :

Amitié, Désir et Affection.

 

L'Amitié est la racine de l'amour.

 

Le DESIR en usurpe le centre apparent.

En fait, il va et vient entre là, remplissant les pauses de lascivité prises par la langueur et laissées dans les creux ou entrelacs de la passion de durer, et c'est ce qu'Amour on nomme, ce DESIR dans les entrelacs, car avec son frétillant frisson qui sait jouer, il en donne le sentiment saisissant. Et l'amour veut être défini par le sentiment.

 

Le lac de la passion de demeurer devient de montagne russe, comme les poupées qui font dresser le DESIR sur la queue. Si bien qu'il y a du désirable émergeant comme raidillon sur la montagne à serments de la passion de durer dont le sermon est le ciment, le sermon des conversations lentes.

 

De la passion, le sermon pour ciment (ou ce que Dialogue on nomme), et l'Affection gardée comme le beau reste du Désir à marée basse, qui toujours remonte sur ses berges, il n'y a rien à craindre là-dessus, car l'Affection veille au grain, l'affection l'entretient.

 

L'Affection est le beau reste du Désir, elle bat pavillon, les verges repliées, sur le coeur de la passion d'ériger. Mais avec ce reste-là, du désir rentré au port du porc rentré en repos du guerrier, avec ce reste du désir qu'est l'affection sans escales, où qu'en soit l'érection, il reste tout de l'amour, tout, même si l'amour n'est plus fou.

 

La triste chair peut s'endormir, elle n'a rien à réclamer : l'Affection veillant, comme le coeur, sur les corps après l'extase des petites morts, il reste tout de l'amour, tout, le désir sauf, momentanément interrompant le coït ou laissé à son germe, dans le rêve d'un souvenir en attente du réveil de la baguette magique des contes de fée, qui sera volonté de puissance et aura la puissance de sa volonté ;

et si l'amour en attendant, dans cet assoupissement de la chair avant nouvel assouvissement, si l'amour est indivis, veillé par l'Affection qui ainsi l'aura confondu, son unité ne saurait le détruire, car l'Affection n'est pas une maladie d'amour : elle  en prend soin bien au contraire, quelque long que soit le silence du Désir et quelque mystérieux le sommeil qui s'est abattu sur la chair avant duothéonéofaction.

 

L'Affection n'est pas la maladie de l'amour :  elle en est le souffle, elle est son esprit, elle l'emporte en effluves de son chant qui revient sur lui-même en appels au désir en rappels à la chair pour que, le DESIR sauf, soient sauvés de l'oubli les sens mêmes.

 

Au terme des trois, Amitié, Affection et Désir abusivement nommé Amour, c'est l'Alliance et le triomphe vibrillonnant de son or tressé sur les coeurs inséparables, non pas comme une pérennité de l'intérêts contractuel qui cimentait le mariage bourgeois, toujours à l'affût des pierres à lapider de l'inévitable adultère, mais par le fait tressé, cet or, qu'envers et contre tout (et sans qu'il y ait de lapidation qui tienne), on défend l'autre qu'on représente et qu'on devient. 

On devient l'autre qu'on défend, et la lumière de l'Alliance brille sur le bris de l'individu perdu dans l'hors-moi, dans l'é'moi ou  l'enlacement des identités, et ce sont deux enfances qui étincellent , enchevêtrées, dans la constellation des consolés, de s'être frottées les yeux ensemble dans une seule et même mémoire qui les a confondues et qu'est l'amour devenu, passion du lac au niveau d'Amitié, au milieu duquel, évasifs en ce limon, flottent les roseaux du Désir évanescent, que soulève l'Affection, poussière aux reflets pailletés dans l'air blessé de jouissance.

jeudi 27 avril 2023

Le "je" et le "nous"

La question du "je" est à la fois vertigineuse et plonge qui se la pose dans une profonde humilité. Elle se ramène, me semble-t-il, à la question de la conscience, sous ses trois modalités pronominales: 


- Comment émerge ma conscience, ou pourrais-je raconter l'histoire de ma prise de conscience et la généalogie de mon "je" sortant de la confusion indistinctive en découvrant son jeu? 


-Qui est mon "tu"? Qui pense quand je crois penser? Y a-t-il quelqu'un au centre de ma conscience que je tutoie ou qui me parle comme une voix intérieure ou suis-je un autre? (Question de Dieu et conscience poétique.) 

   Et c'est ici qu'on peut être pris de vertige, car il y a un dédoublement dans la conscience du penseur qui tout à coup se voit penser, comme l'origine de "la mémoire involontaire" de Proust est dans cette vision de soi se souvenant beaucoup plus que dans le souvenir, la "double (ou la fausse) reconnaissance" dirait Bergson ou la réminiscence. 


-Et comment l'appropriation de la conscience qui m'a distingué et qui se dédouble quand je réfléchis et réfléchis le monde en y réfléchissant peut-elle m'ouvrir à la troisième personne, soit en me faisant accéder au monde commun du "on" si je savoure les joies de la neutralité qui me fait "être avec", dans la bienveillance, ou au pronom critique du "il" si je m'abandonne aux joies superficielles de l'enfant rebelle qui se pose en s'opposant et se prend pour un continent misanthrope réglant ses comptes avec l'insulaire humanité liguée contre son monde intérieur? 

   Le "on" cherche les points d'accord de la raison humaine et de ce fait il trouve des points d'appui, le "il" cherche les torts à partir des points aveugles de celui qui réfléchit et prétend s'imposer par différenciation, clivage et conflits. 


Le "nous" que je perçois se confond avec le "nous" des Grecs, avec l'esprit du monde, avec la pensée sous-jacente au monde qui le dirige comme son inconscient en dirigeant nos actes, comme l'inconscient du monde beaucoup plus que comme une Providence maîtresse de l'histoire. Je ne le vois pas comme le sentiment du collectif qui est le revers de l'individualisme ouvrant à l'apocalypse structurelle dans laquelle s'enkystent nos rapports humains. 

mercredi 16 novembre 2022

De la culpabilité

Platon disait que "nul n'est méchant volontairement". C'est certainement trop facile. Mais le péché ne fait que des victimes et le pécheur est victime de lui-même en faisant d'autres victimes dans le sillage de sa faute. Personne n'est coupable du péché que l'ennemi de nos âmes par lequel nous sommes agis plus que nous n'agissons quand nous cédons à la pulsion de mort qui nous fait parfois tuer. Nous appelons métaphoriquement cet ennemi de nos âmes le diable, la métaphore est bonne. Je me suis fait plaisir et me suis cru malin en disant à mon psychanalyste que j'avais vu le diable en voyant mon double. Je maniais les symboles et ne le regrette pas. Le péché ne fait que des victimes et le pécheur n'est pas coupable de son péché au sens où il faudrait ajouter au mal commis le démon de la culpabilité. 


Je ne me comprends pas moi-même quand je dis qu'il faut absolument distinguer entre péché et culpabilité, car les deux notions paraissent trop profondément intriquées, et pourtant je suis sûr qu'il y a là un chemin que la psychologie doit emprunter si elle espère faire sortir un jour les personnes humaines de cette spirale infernale de la victimisation sans résilience et de la culpabilité sans rémission. René Girard et Jean-Michel Oughourlian en ont touché quelque chose quand ils ont dit que, dans une maladie psychique, il n'y avait pas le malade et la personne saine accompagnante, mais il y avait un jeu de rôles malsain entre ces deux personnes où le sain rend malade et où le malade n'est ni malsain, ni toujours celui que l'on croit. Je crois savoir de quoi je  parle, car j'ai vécu vingt années durant avec une personne qui souffrait de maladie psychique. Je ne me croyais ou ne me savais pas malade et je croyais bien l'accompagner. Or je l'ai si mal accompagnée  qu'elle n'a pas eu d'autre solution que de me quitter. Cette réversibilité des rôles entre la personne prétendument malade et la personne prétendument saine est le seul caractère opératoire que revêt dans mon esprit la pensée de René Girard. 


Le péché ne fait que des victimes et personne n'en est coupable, sinon le déterminisme par lequel notre liberté n'est pas si grande que des forces ne nous agissent envers et contre nous-mêmes. Personne n'est coupable du péché, sinon le péché originel. Vous allez dire que j'en prends à mon aise en métaphorisantà souhait les notions de péché originel et de diable, mais je crois que leur construction symbolique peut être la clef de guérison des névroses qu'elles ont éventuellement provoquées. Si j'osais (mais là, je me fourvoie peut-être), je dirais que personne n'est coupable du  péché sinon le déterminisme qui a fait de l'homme un sujet de hantise du mal et que la Providence qui a permis à ce déterminisme de jouer à plein. Mais ce n'est pas à moi de soupçonner ni d'accuser Dieu. 


Le péché ne fait que des victimes et personne n'en est coupable. Et personne n'est prioritaire dans la reconnaissance du mal commis, ni les victimes reconnues ni les coupables avérés, même si les victimes, dans leur désir de reconnaissance légitime,  doivent jouir de plus de compassion de la part de la société que ceux qui leur ont fait du mal, sans que la justice doive être rendue au nom des victimes sous peine d'être une justice vindicative. 


Il faudrait pourtant aider les coupables qui restent dans le déni à se déclarer coupables au sens courant de ce terme. Car cela aiderait leurs victimes qu'ils cessent de nier le mal qu'ils leur ont fait. 


Je suis pour que l'on substitue à la notion de culpabilité qui ne produit que sa propre déperdition la notion de responsabilité qui est un premier pas vers la réparation de la victime et vers la conversion du pécheur qui s'est reconnu coupable de s'être laissé entraîner dans la tentation. Mais même si elle est impossible, tant le préjudice moral a causé de traumatismes, la réparation de la victime prime la conversion du pécheur responsable de ses actes bien que déterminé jusqu'à un certain point à les commettre. 

samedi 4 juin 2022

Le miracle n'aura pas lieu

et le miracle, cest qu'il n'ait pas lieu.


MetaBlog: La sainte Eglise catholique (ab2t.blogspot.com)


Cette belle méditation (car tout commentaire du credo ne saurait en être qu'une méditation) montre que tout ce qu'énonce le Symbole des apôtres après l'affirmation de la foi dans les trois personnes divines (la vie spirituelle est un prolongement de la vie trinitaire) est une apposition du rôle de l'Esprit Saint dans la création continue comme une action de Celui-ci, et l'Eglise catholique est la première de ses appositions. Au bout de la chaîne de ces appositions, il y a la rémission des péchés, qui rend possible la résurrection de la chair, c'est-à-dire le fait pour la chair criminelle de mettre un pied devant l'autre sans se regarder dans la glace et subir le supplice du miroir, et la vie éternelle, où l'Esprit qui planait sur les eaux réconcilie notre chair criminelle, christifiée par le Verbe qui vient y semer une parole, pour la réussite de la convocation divine adressée au premier Adam.


"L'Eglise est antérieure au Christ" comme "le bercail" précède le troupeau: cette audace métaphysique de l'auteur rappelle celle où, dans son livre "Délivrés", il montrait que le chrétien a la liberté d'aller et de venir,  d'"entrer et de sortir du Christ". Le bercail précède le troupeau au terme de "l'Evangile éternel" qui fait que nous rêvons tous de ne pas avoir le même chemin ("J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie"), mais d'avoir le même port. Port d'attache où l'"unité" soit possible sans qu'unité rime avec uniformité, sans que l'individu se perde dans le collectif et son "esprit d'équipe", sans que la collectivité dégénère en collectivisme. Nous rêvons de faire corps sans parvenir à soulever la chape de plomb d'une solitude dans laquelle, disent les pessimistes, l'homme naît, grandit et meurt seul. Or les deux vérités se concilient: l'homme est seul et il n'existe que de former un corps avec les autres hommes, sous la motion de l'Esprit, "l'âme incréée de l'Eglise", pour donner corps à la Parole du Christ qui a animé la chair.


L'Evangile a annoncé le Royaume et c'est l'Eglise qui est venue. "Tant d'hommes entre Dieu et moi" depuis que "l'unique Médiateur" est descendu dans la chair. Comment l'Eglise peu-elle être "la seule internationale qui tienne", comme aime à le répéter notre auteur dans un trait qu'il affectionne? L'Eglise est la seule internationale qui tienne parce qu'elle concentre le plus d'hommerie. La sainteté qui en émane n'est pas une sainteté caractérielle, mais elle rayonne de la sainteté de Dieu,  le seul Saint.


"Ce ne sont pas les bienportants qui ont besoin du médecin, mais les malades" pour qu'"il y (ait) plus de joie au ciel pour un seul pécheur qui se convertit que pour 99 justes qui n'ont pas besoin de conversion." C'est pourquoi Jésus s'est fait "homme à l'exception du péché" (nous ne sommes pas à un oxymore près), mais Il s'est fait surtout médecin, un médecin à qui ses malades lancent: "Médecin, guéris-toi toi-même", comme on fait procès aux professeurs de bonheur de n'être pas heureux en leur disant avec Aragon, non pas que "la femme est l'avenir de l'homme", mais que "qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes". 


Françoise Dolto estimait que le coup de génie du "Christ thérapeute" comme aurait parlé Maurice Bellet était de  demander  à son malade ce qu'il voulait que le médecin fasse pour lui, ou encore: "veux-tu guérir?" Si le malade répond honnêtement, il avouera que non. "Veux-tu vraiment ce que tu désires?", demandait Jacques Lacan à ses patients. Toute thérapie se heurte à la buttée du vouloir : le malade ne veut pas guérir alors qu'il demande la guérison à son médecin qui lui promet de commencer par ne pas lui nuire: "Primum non nocere".  


Rien n'est plus mystérieux que la volonté. De quel droit dit-on "je veux"? Comment veut-on? Pourquoi ne veut-on pas? La volonté est un muscle, c'est-à-dire qu'elle s'entraîne, on s'entraîne à vouloir, vouloir comme aimer est un effet d'entraînement, vive les entraîneurs et les entraîneuses! Mais la volonté ne veut pas comme l'amour n'est pas aimé, pourquoi? Et pourquoi ne parle-t-on que de la volonté de Dieu, comme si celle-ci précédait la liberté qu'Il nous donne, comme si Dieu n'était que Volonté comme il est censé n'être qu'amour? 


La volonté ne veut pas, parce que le malade a besoin du médecin, mais le médecin n'a pas besoin et n'a pas promis que le malade guérirait.  Le médecin est le premier des incurables: il ne peut pas plus se guérir lui-même que se sauver lui-même ou descendre de la croix. Il n'est pas venu pour faire des miracles, sauf à titre exceptionnel, pour confirmer la règle de la maladie de l'homme, tant qu'il n'est pas sauvé. Il est venu accompagner le malade et là est le miracle permanent, qui réalise l'unité de l'homme en échec, qui soudain réussit, à répondre à l'appel de Dieu, réussit à renaître. C'est entre autres ce que nous montre cet article. 

samedi 28 mai 2022

Ca parle en moi comme une Trinité

Une façon de poser la question de Dieu: y a-t-il quelqu'un au centre de cette conscience qui me tutoie?


La nature peut certes être invoquée pour prouver l'existence de Dieu; mais moi qui ne vois pas, elle ne me parle pas ou elle me parle peu. En revanche:


Une façon de poser la question de la Trinité est un détour par la parole:


      certes, le moi, le ça et le surmoi sont une analogie convenable: on peut évoquer la topique freudienne; mais plus me parle le fait que tout parle en moi, la conscience est un vaste espace d'interlocution.


-Quelque chose me tutoie comme si je lui étais extérieur; je tutoie quelque chose que je ne connais pas, et ce va-et-vient entre le "je" et le "tu" fait que je réfléchis. 


-Mais surtout je me critique comme si j'étais extérieur à mes actees ou étranger à mon jeu. "Il" est mon pronom critique. "Il" est le pronom que j'emploie quand, en moi, je parle de moi. 


-Ce qui fait ma différence avec la Trinité, je me critique entre laudation narcissique et dépréciation pathologique, mais sans mansuétude et sans miséricorde; alors que la Trinité se critique en s'aimant dans la juste mesure, non démesurément; en voyant ce qu'elle a fait de bon, et cet amour est bon qu'elle se porte. 

vendredi 14 mai 2021

La foi de l'abandonnique


L’abandon est une notion très difficile à penser. D’abord parce qu’elle est polysémique. S’abandonner à Dieu n’est pas la même chose que se sentir abandonné de Dieu. Le premier abandon suppose une confiance qui ait surmonté la Névrose d’abandon dont parle Germaine Guex que cite Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs. L’abandon est un lâcher-prise qui se fait en confiance, parce que celui qui s’abandonne ne paraît pas percevoir que Dieu puisse l’abandonner ou lui jouer un mauvais tour. 


Le détachement est une drôle d’école spirituelle. C’est à la fois un summum de courage et n antidouleur. On se détache pour se déprendre, ou bien on se détache pour ne pas souffrir.


L’abandonnique (et j’en suis un) me paraît incapable de s’abandonner. Cet être qui a volontiers de l’assurance et de l’emprise, cet affectif malade des liens croit que s’il lâche prise, sa foi va le trahir. Donc l’abandonnique n’a pas la foi, c’est fort possible. Il a la foi dans la mesure où elle est un élan, mais il n’a pas la foi-confiance. Du reste il faudrait savoir si la foi est un élan ou une confiance. Aujourd’hui on insiste sur la dimension – ou la question – de confiance, mais elle est d’abord un élan et une force, une force telle qu’elle peut renverser des montagnes. L’abandonnique a cette force, mais il n’a pas confiance. Jésus aussi paraît très fort, c’est à se demander s’il n’est pas un abandonnique. Il jette souvent ses disciples et les envoie bouler et balader. 


L’abandonnique ne veut pas se jeter à l’eau parce que s’ils’y jetait, tout tomberait à l’eau, croit-il. Un jour je demandai à quelqu’un : « Q’est-ce qui se passerait si je lâchais prise ? » Sa réponse me stupéfia : « Eh bien tu t’apercevrais qu’il y a des gens qui tiennent à toi et quine demandent qu’à te soutenir. » Et dire que je doutais que ce fût un ami. » 


Jésus s’abandonne certes à la volonté de Son Père au jardin de gethsémani, mais cela ne l’empêche pas de se sentir abandonné de Dieu.  Étonnant que les chemins de croix n’aient pas retenu ce sentiment de l’abandon du Fils par le Père comme une des stations les plus importantes. et ce n’est pas une construction mythique, qui doit recourir à des personnages comme Véronique, dont on n’est pas certain qu’ils ne sont pas des personnages de fiction.


Est-ce que vivre, c’est apprendre à perdre, comme faire une psychanalyse, paraît-il ? Est-ce qu’il faut « se détacher  de sa vie » pour la garder comme le dit l’Évangile ? Et s’il faut s’en détacher, faut-il la plonger dans une communion des saints un peu chaotique et confusionnelle où tout le monde est personne, mais où personne n’est quelqu’un, en sorte que quand nous prions les uns pour les autres, c’est une manière de ne pas assumer de devoir mener son propre combat spirituel sous prétexte de nous soutenir les uns les autres car nous sommes tous dans le même bateau, mais sans payer pour cette solidarité un autre prix que celui de l’intercession. 


Étonnant que le christianisme, qu’on nous présente souvent comme une religion de la personne, n’ait pas vu que l’avers du péché originel était la communion des saints ;étonnant qu’elle ait cru à l’illusion du salut personnel sans que la civilisation chrétienne accouche d’emblée de « la Société des individus » ; étonnant qu’elle ait laissé ce triste privilège au contractualisme, au constructivisme et au collectivisme, qui furent autant de tentatives de structurela protection dans les sociétés humaines, l’apocalypse structurelle étant souvent le totalitarisme ou la bureaucratie.r 


Deux choses m’étonnent : que le sentiment d’abandon du Fils par le Père ne soit pas une station du chemin de croix et que le psaume 21-22, qui contient en puissance et à titre prémonitoire tout le kérigme, qui est prié intégralement le jeudi saint dans la forme extraordinaire me suis-je laissé dire (et pourquoi pas ? Il donne la clef de tout le tridium), ne soit pas scindé entre le vendredi saint et le samedi saint pour que Jésus apparaisse dans l’état de déréliction le plus complet le vendredi et chante qu’il a entendu la réponse de Dieu durant la veillée pascale, réponse qui pourrait presque suffire à toutes les lectures qui nous rappellent l’histoire sainte et que l’on fait en cette nuit de mémoire où l’on récite des merveilles de Dieu qui paraissent parfois un peu anachroniques, comme le passage de la mer rouge qui enfouit les Egyptiens dans les flots refermés et reformés, noyade collective que nous ne comprenons plus très bien.

 

mardi 4 mai 2021

La création par le néant

<p> "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?" Feuerbach  répond à la question de Leibniz: 

"Le monde existe parce que c’est une absurdité que le monde n’existe pas. Le monde provient de sa propre nécessité. La vie est nécessaire à celui qui ne vit pas. Ainsi c’est la négativité comme disent les philosophes spéculatifs,  c’est le néant qui est le fondement de l’univers, mais un néant qui se détruit lui-même, un néant qui existerait par impossible si le monde n’existait pas." <p>


Feuerbach est un immense théologien apophatique. Le monde naît du besoin qu'on a de lui sans qu'il soit besoin de l'imaginer créé par un Dieu sans besoin, un Dieu suffisant, un Dieu qui ne souffre pas et qui peut se passer de vis-à-vis toute une éternité avant le temps de l'homme et même le temps de l'univers. Cela me choque et je n'aime pas la suite de la citation de Feuerbach dont le génie est d'imaginer que c'est la raison et la conscience humaine qui sont sans limite: "C‘est d'un besoin, d’un manque que provient l’existence en général; mais c’est une fausse spéculation que de faire de ce manque

un être ontologique, un Dieu, car ce manque n’existe

que dans la supposition que rien n’existe." <p>


Cela rejoint ce que me disait récemment un psychanalyste, ancien élève de Lacan, que la psychanalyse, c'est d'apprendre à manquer. Ça n'a nullement pour objet de rendre heureux ou de guérir. Mais alors, c'est du stoïcisme? Un peu comme quand Krischnamurti se met à parler de l'amour et de la relation impossible entre deux êtres. La lucidité est un fluide glacial. Beaucoup de parades stoïciennes se cachent derrière un trompe-l'oeil énergétique qui puise dans l'envie qu'il nous donne d'espérer et d'exercer la moins évidente des vertus, comme l'a (ou peu s'en faut) nommée Péguy. <p>


L'homme Jésus, la deuxième personne de la Trinité, "la seule qui compte pour la religion" dit Feuerbach car il faut transformer les attributs en un sujet humain, s'inquiète: "Quand le Fils de l'Homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?" Certainement elle l'aura désertée, mais au ciel, la foi et l'espérance auront disparu, seule la charité subsistera. Parce qu'il n'y en aura plus besoin, hasarde-t-on. Sans doute, mais on a toujours besoin de croire en ce qu'on voit, même si l'espérance étant réalisée, elle n'aura plus de raison d'être, on n'aura plus à réveiller cette vertu miraculeuse dans la vision béatifique dont notre nature limitée redoute qu'elle rime avec ennui. <p>


Certes la psychanalyse est un apprivoisement stoïque du manque originel. Et pourtant elle croit au miracle, elle croit au miracle de la parole, elle croit à ce qui s'apparente à la parole de connaissance, elle croit que l'arbitraire du signe signifie, de la même manière que Saussure posait la coïncidence de l'anagramme comme le terme du non choix de signifier par le signe, le symptôme faisant exception, qui ne somatise que pour symboliser. <p>

jeudi 15 avril 2021

Pour en finir avec le jugement de Dieu

<p> Depuis quelques jours, il me démange, non pas d'"en finir avec le jugement de Dieu" comme a prétendu le faire Antonin artaud dans une oeuvre assez insoutenable, mais d'affronter l'absurdité de cette question: pourquoi l'homme a-t-il imaginé un Créateur qui l'ait créé par amour et pour lui demander des comptes? <p>


J'entends bien ce qu'un prêtre de mes amis oppose à cette question à chacun des enterrements qu'il célèbre: "Toutes les civilisations croient au jugement final." Et d'ajouter: "Mais seul le christianisme nous explique que nous serons jugés sur l'amour, l'amour que nous aurons donné et l'amour que nous aurons reçus." <p>


La croyance dans le jugement de Dieu peut venir de la précarité de la condition humaine. L'homme précaire a commencé par s'assurer contre le danger en espérant que les dieux accueillent ses initiatives sous un jour favorable, que ses entreprises soient couronnées de succès et n'entraînent pas sa chute. Il s'est assuré de Dieu en devenant religieux contre la peur. La religion a ses racines dans la superstition et ne peut les renier en croyant faire preuve de largeur d'esprit qu'au prix de nier une partie de sa nature instinctive. L'homme qui joue à être un ange intelligent se prive à son détriment de sa part animale. <p>


La peur n'évite pas, attire et brave le danger. Le jugement est une adrénaline morale. Sans enjeu, pas de vie humaine. L'homme réduit à ne pas jouer sa vie s'évanouit dans une insignifiance jouissive où le pari n'est pas nécessaire et où il suffit de se donner la peine de naître et de se contenter de vivre pour être justifié d'exister. Etre jugé est pour l'homme un aiguillon vital et une exigence morale. <p>


Sur quoi se greffe le sentiment de culpabilité qu'il est bien difficile -et pourtant nécessaire- de jeter à la mer -avec lucidité-. Car plus la vie s'allonge et plus on s'aperçoit qu'on a fait des fautes et commis l'irréparable, d'autant qu'"on écrit sa vie à l'encre indélébile", comme l'affirmait tranquillement le Père Xavier de Chalendar. Un des cris le plus souvent poussé par le psalmiste est: "Ma faute est toujours devant moi." J'ai entendu un jour serge de Beketch, brillant esprit d'une droite extrême traitant de la religion séculière lors d'une université d'été de "Renaissance catholique", déplorer que les chrétiens croient aujourd'hui que Jésus est venu pour nous libérer de la culpabilité et non pour nous sauver du péché. Il assimilait cette mission rédemptrice de substitution attribuée à Jésus par notre époque à celle que s'assignait selon lui la psychanalyse. Je ne crois pas que la psychanalyse efface notre dette, dont Freud avait le sentiment diffus que nous l'avions contractée dès l'origine. Elle ne nous apprend pas non plus à nous en acquitter, mais à ne pas en rajouter. La psychanalyse n'est pas une école de l'innocentement, comme le sont trop de thérapies empruntant à la psychologie de comptoir. <p>


La justice pénale humaine a toute sa raison d'être. L'homme ne demande qu'à réparer. Mais Jésus nous apprend à nous déjuger. Il ne nous dit pas qu'est nul notre besoin d'être jugé. Il ne le nie pas. Mais Il commence par dire qu'Il ne vient pas pour juger le monde, que, si jugement il y a, il est intérieur à la personne qui le porte sur elle-même qui peut s'en libérer pour avancer. et Il vient mettre nos péchés à distance de nous pour qu'une vie ne soit plus appréhendée dans les péripéties qui paraissent la figer pour toujours, mais dans le dynamisme de ses reconstructions. Un ami me disait même que c'est cela, la résurrection de la chair. <p>

vendredi 10 avril 2020

Un christianisme sans la Croix ou la farce du salut...

Prière pamphlétaire.

Vendredi saint.

Seigneur, jamais il ne m’est venu à l’idée de te prier par écrit, et encore moins un vendredi saint, d’écrire en pierrot lunaire une prière au fil de la plume au lieu d’observer le grand silence, d’entrer dans le grand silence du samedi saint, comme ne parvenait pas à y entrer mon amie Marie-Véra qui continuait, le jeudi saint, de jouer pour toi de la manière la plus virtuose et flamboyante, s’attirant les foudres d’un fidèle observant les prescriptions de l’art de vivre les temps liturgiques de façon normative à qui elle répondit : « Vous n’allez tout de même pas m’empêcher de jouer pour mon époux. »

Mon âme est ton épouse, Seigneur, mais moi ? Mon âme est ton épouse, du moins tu y habites, mais je n’ai pas la ferveur de mon amie compositrice, j’ai ma propre ardeur, une ardeur de paroles téméraires qui vont se déployer, j’en ai bien peur, mais avant cela, je retiens l’image qui m’a le plus parlé de toute la cérémonie que je viens d’écouter, retransmise depuis le Vatican. C’est l’image du pape François répondant à la prière de l’Église intercédant pour lui. IL a tout simplement prié pour lui aussi, commeF.P., le pasteur de ma mère, lui demanda un jour : « Ne te vient-il jamais de prier pour toi-même », et de lui conseiller de le faire, sur sa réponse négative. Comme prier pour moi-même ne me vient pas à l’idée à moi non plus. Et pourtant il y a matière à prier pour soi. Il y a matière à venir déposer sa croix au pied de la tienne, cette croix que tu nous demandes de porter et nous voulons si peu, cette croix de nos failles d’où coule un sang que nous ne voulons pas donner pour le transfuser dans cet amour actif qui ne ferait pas de nos fragilités une fin en soi, mais l’utérus où renaître ; cette croix de nos fêlures qui, brèches ouvertes par où nous sommes réceptifs à la souffrance des autres, nous fait pécheurs car il suffit d’un rien, et fait que nous avons utilisé, manipulé, écrasé, piétiné les autres au moment même où nous voulions les aimer le plus ; cette croix de notre écharde dans la chair avec laquelle ta grâce nous suffit pour vivre, mais que nous trouvons plus reposant de ne pas dépasser, de ne pas transcender puisque tu l’assumes : croix que nous t’apportons pour nous réfugier dans notre médiocrité, tirant prétexte que tu t’es livré pour nous, que tu t’es fait péché pour que nous tirions de toi le salut, que tu t’es fait pauvre pour qu’en ta pauvreté nous ayons la richesse.

Tant de mauvaises semaines saintes que j’ai vécues, Seigneur. De semaines saintes où je t’arrivais dans des états innomables de péché pour prendre mon service ou célébrer mes pâques alors que je n’en étais pas digne. Je me souviens de ce vendredi saint où la l’imbroglio affectif où j‘étais se retourna contre moi, quand je vis partir ensemble les deux femmes que j’aimais, l’une plus et l’autre moins, enfin je crois. Je refermai la porte de mon appartement et pensai : « on est souvent le dindon de la farce qu’on a soi-même écrite. »

Cela ne m’empêcha pas de vouloir aller assister à l’office de la passion dans l’église qui était près de chez moi. Mais avant que je me mette en route, mon vieil ordinateur se mit à tourner comme un fou. Je ne perdis pas toutes mes données ce jour-là, mais il ne marcha pas de huit jours, et tournait comme ma vie qui avait mal tourné.

Et tant de fois je te suis arrivé hors d’état. Je me souviens que ce jour-là, avant de partir, causait à la radio le Père Cantalamessa, prédicateur de la maison du pape. Il l’est encore aujourd’hui. Ce doit être pour cela que ce souvenir me revient. Je me souviens que ce vendredi saint-là (c’était en 2007), il avait dit : « L’homme a imaginé un ordinateur pour anticiper la pensée ; mais il n’a jamais créé un ordinateur capable de prendre connaissance de l’amour. »

J’avais aimé cette pensée-là, d’autant que je croyais avoir trouvé la formule magique de la pensée, où je croyais avoir inventé l’atome spirituel : «La pensée humaine est la rencontre électriquement ou synaptiquement provoquée entre deux infinitésimaux universels présents dans le cerveaux. » Selon quelle combinaison ? Toute la question était là. Mais l’amour ? Qui dira les aléas de l’amour ? Le padre Cantalamessa expliquait qu’un ordinateur ne les saurait jamais démêler et de fait, on ne l’a jamais pu jusqu’ici, que l’amour soit ou non une alchimie chimique et une affaire de phéromones, que l’autre nous serve d’objet transitionnel ou soit aimé dans la maturité d’une relation réciproque, que l’amour soit une manière de nous confirmer dans notre être ou un effet d’entraînement qui nous pousse vers l’autre.

À l’époque - ou bien les réunis-je dans un temps poétique -, j’avais deux certitudes orthographiques : l’une était que la folie s’écrivait avec deux « L » et l’autre que la passion du christ s’écrivait avec un « T ». Je voulais que nous prenions notre envol sur les ailes de la folie et que la passion du christ fût un « pathos » afin que le péché fût une affaire qui pût se résoudre en blessures. Mais la passion du Christ est comme nos passions de l’âme.   Croyant trouver un grand esprit dans ce padre Cantalamessa, j’avais acheté un livre qu’il avait écrit sur l’Esprit Saint. Je commençai de le lire sur une machine à lire et n’y ai riein appris qui m’eût emporté l’âme. Ce soir, il a prononcé à nouveau l’homélie du vendredi saint dans la maison du pape transportée dans la chapelle de la chaire de saint Pierre. J’en ai retenu peu de choses, mais le peu qui m’en est resté m’a plutôt énervé.

Il a commencé par dire qu’il ne fallait pas chercher les causes de la passion du Christ, mais ses effets. Il ne faut pas avoir une relation avec Dieu de cause à effet. Parce que ? Parce que la relation humaine n’estjamais un rapport de cause à effet. Cherchez donc la réciprocité dans les relations humaines ! Oui, mais la relation de l’homme à Dieu est relation de créature à Créateur. Je suis l’effet dont il est la cause. Je fus mis en mouvement car il fut mon moteur. Nous ne voulons plus avoir de relation providentielle avec Dieu. La messe ne soutient plus la création, elle ne la supporte plus, elle n’a plus pour la soutenir des vertus propitiatoires, elle ne la délivre plus, c’est un simple sacrifice de louange et d’action de grâce où chacun dit merci à l’autre un peu comme dans « Le cantique des créatures ». La gratitude suffit-elle à réorganiser le cosmos et à lui éviter le chaos ? Ce n’est plus aujourd’hui qu’un Bossuet écrirait un « DISCOURS SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE ».

Le padre cantalamessa ne demande pas mieux que de trouver un sens au coronavirus. Il nous avertit de ne pas nous prendre pour une civilisation post-mortelle. C’est un agent infectieux qui se dresse contre le transhumanisme. Et de raconter l’histoire d’un grand artiste anglais, tellement fasciné par son chef-d’œuvre qu’il manque, de fascination, de tomber de l’échafaudage. Son assistant sent que, si de frayeur il l’avertit, il précipitera sa chute. Alors il lui vient une idée de génie : il lance un pinceau dans l’œuvre du maître pour que celui-ci se redresse. L’œuvre est compromise, mais le maître est sauvé. « Dieu n’est pas l’assistant du grand artiste anglais », avertit toutefois le Padre Cantalamessa, « ce n’est pas lui qui a lancé le coronavirus. Alors à quoi bon nous avoir raconté cette histoire ? L’Église aime bien les « chercheurs de sens », mais à condition de ne pas le donner pour qu’ils restent dans l’absurde. Elle aime bien les « signes des temps », mais à condition de ne pas les lire.

Parce que l’homme ne peut pas tout, il faudrait réduire Dieu à l’impuissance. Mais a-t-on jamais vu amour impuissant ? Plus de Providence et plus de châtiment, pas d’empoignade virile entre Dieu et l’homme. L’Amour de Dieu ne déploie sa puissance que dans la faiblesse. On n’ira pas loin avec ça. Dieu et l’homme vont côte à côte dans une marche à l’impuissance. Quelle est la suite de l’histoire ? Mais j’oubliais : on veut en voir la fin et si on ne veut pas la voir, on la connaît, « la fin de l’histoire », « la mort de l’homme », « la mort de Dieu » et « la paix perpétuelle », le »tout est accompli »dans l’ici-bas, l’aventure inutile comme dans toutes les épopées où l’on savait dès l’incipit que le héros qu’on célébrait allait gagner à la fin. Le combat spirituel est sans risque, « tout est gagné d’avance », nous n’avons qu’à accepter notre salut et nous baisser pour ramasser la pièce et la mettre en poche comme le paysan avare et prévoyant, Dieu est le dindon de la farce du salut qu’il a écrite d’avance, qui donc y croira-t-il ? Et quand ce serait vrai, qui cela mettra-t-il en mouvement ?

« Nous sommes sauvés d’avance, il n’y a qu’à accepter son salut », et cette écharde dans la chair avec laquelle faut vivre. Moi je veux bien, c’est reposant, ça entretient la dépression spirituelle ou le complexe de Bartleby. Vivons notre foi confinée.

Je repense à Judas. Le pape aussi en parlait le mercredi saint, le « jour du traître ». « Où es-tu, grand et petit Judas ? Pour le grand, je ne sais pas, mais toi, le petit, toi qui as ta dignité mine de rien, ne manque pas de venir à l’église, tu n’y es pas de trop et la messe peut beaucoup pour toi. »

Parce qu’on a dit que Judas ne s’était pas repenti. Pardon, ce n’est pas vrai. Il a même voulu réparer. Il s’est rendu au temple et les chefs des prêtres n’ont pas voulu de son argent. Ils se sont lavés les mains de son repentir comme les chrétiens se lavent les mains de la croix du Christ. Les chef des prêtres n’ont pas reversé l’argent de la trahison jeté par Judas dans le trésor du Temple. Ils ont préféré acheter « le champ du sang », anciennement « champ du potier », pour y ensevelir les étrangers. À croire qu’il n’y a que les étrangers pour se refaire faire le tour de la question dans le « champ du potier » et pour se laisser purifier par le Sang de Jésus, mort en excommunié, ceux qui l’envoyèrent devant Pilate, l’homme qui se lavait les mains, étant selon Jésus « coupables d’un péché plus grand que » celui de ce jurisconsulte qui s’interrogeait sur la vérité et avait écrit ce qu’il avait écrit.

Les chefs des prêtres se sont lavés les mains du repentir de Judas et l’ont envoyé paître. Les disciples du christ ont déserté. Il n’y a personne pour entendre sa confession. Alors Judas se repend et se pend. Judas, né pour que les Écritures s’accomplissent, est le dindon de la farce du salut… Jésus a dit dans son angoisse qu’il valait mieux pour Judas qu’il ne fût jamais né. Ce qui est sûr, c’est que Jésus a versé Son sang pour les péchés de Judas. « Petit Judas, où es-tu ? »

Ce matin, je lisais dans une prédication protestante que « la croix n’est pas le signe le plus heureux du christianisme. » Alor sil faut changer de crémerie, pasteur ! Enfin, je neux pas vous jeter la pierre ni vous le dire trop fort. Je vais balayer devant ma chapelle.

Paul VI déplorait que beaucoup veuillent « un christianisme sans la croix ». Nous y voilà. Ce n’est pas tout à fait que nous ne voulions pas de la croix, mais nous ne voulons plus du sens que la théologie kérigmatique a donnée à ce sacrifice consenti, voire planifié par le Père et le Fils et pour lequel l’Esprit a apporté au fils resté seul, sans disciples pour veiller avec Lui, le concours de sa consolation. Non, nous voulons bien de la Croix, mais nous voulons discuter de la Croix. Un peu comme nous voulons bien que la conférence Saint-Vincent de Paul se porte au secours de ceux qui ont faim ; si l’affamé insiste, nous lui donnerons un quignon de pain ou une pièce en espérant qu’il n’en profite pas pour s’acheter à boire ; mais nous aimons mieux prier pour ceux qui viennent en aide aux affamés et discuter de la faim du prochain. Nous voulons bien nous faire les prochains de quiconque, mais de loin. Nous voulons discuter de la croix comme les juifs trouvaient que c’était scandale et les Grecs que c’était folie. Mais ne sommes-nous pas des chrétiens?

vendredi 3 avril 2020

Marie, ses douleurs, le kérigme et l'Évangile

Aujourd’hui, à sainte-Marthe, le pape a égrainé les sept douleurs de la Vierge Marie. Le chapelet de ces sept douleurs est son angélus du soir. Mais l’Église les a mal réparties :

- D’abord elle a oublié une douleur géo-céleste : quand l’enfant naît, Marie est « enlevée au désert », déclare l’Apocalypse. Marie est au désert jusqu’à la parousie comme le Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde. C’est depuis ce désert qu’ele nous parle en des apparitions catastrophistes.

- Mais l’Église fait également l’impasse sur l’Évangile comme la prédication apostolique, du premier discours de Pierre à l’annonce de Paul dans les différentes villes où il passe,mentionne par omission l’enseignement de Jésus pour la vie dans ce monde, art de vivre qui nous mène de la terre au ciel.

Pour Marie, on reconnaît bien ses douleurs dues à l’enfance du Christ : douleur de la fuite en Égypte qui donna lieu à tant d’épisodes farfelus et merveilleux des Évangiles apocryphes ; douleur de la fugue de Jésus reclus au Temple et qui discute avec les docteurs de la loi comme un enfant de l’étude rompu aux polémiques. L’Église signale bien que la prophétie de Siméon transperce le cœur de Marie du glaive dont la menace le vieux prophète, parce qu’on en voudra à la vie de Jésus. Elle Mais quand Jésus, au cours de sa vie publique, transperce Marie du glaive de son indépendance,l’Église fait motus, car elle veut bien que Marie, mère de Dieu, souffre des incartades ou « bêtises » de l’enfant Jésus, mais pas des aspérités de Jésus qui se pose en adulte et en homme libre face aux siens et face à sa mère, ne faisant qu’un qu’avec son Père du ciel.

Car Marie, l’Église la veut mère et non pas femme, soit dit par un ancien enfant traumatisé de ce que sa mère lui eût répété : « Tu me regardes comme une mère, mais tu n’acceptes pas que je sois aussi une femme. » C’étaient paroles abusives dites à un enfant ; mais ce sont paroles abusives de Marie, notre mère, aux enfants que nous ne sommes plus, aux « hommes faits » (au sens générique) à qui elle parle essentiellement quand elle apparaît, que ces paroles de chantage : « Si vous ne vous convertissez pas, mon Fils fera pleuvoir sur vous des catastrophes, fera se gâter vos récoltes (la Salette), laissera la Russie « répandre ses erreurs dans le monde si le pape ne la consacre pas à mon Cœur immaculé (Fatima), comme c’est caprice d’enfant gâté quand Jésus parle du figuier desséché qu’Il fait brûler parce qu’il n’a pas produit de figues au moment où Jésus vent en manger (trace des écrits apocryphes dans les Évangiles canoniques ?) ; chantage (ou constat d’une loi de cause à effet ?) quand Jésus dit : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même » (Lc 13, 5) ; et chantage incontestable que la logique des impropères du vendredi saint : « Toi, tu ne m’as fait que du mal et Moi, Je ne t’ai fais que du bien. » Chantage encore que la relation de Jésus aux mystiques sur le mode : « Gratuitement, j’ai donné ma vie pour toi ; j’ai donné toute ma béatitude pour mourir pour le néant que tu es, tellement je t’ai aimé.e ; répare mes incomparables douleurs ; répare le don gratuit que j’ai fait en te donnant ma vie. Console mon cœur immaculé de fils », « de mère. »

Cela arrive encore une fois parce que l’Église ne voit Marie que comme une mère et non comme une femme et parce que la prédication apostolique met l’accent sur le kérigme et fait l’impasse sur l’Évangile . Quelle femme en effet a été Marie si le seul élément marquant de sa féminité a été de consentir à ce que l’ange lui annonçait ? Et quant aux apôtres, pourquoi leur prédication de Jésus mort et ressuscité n’est-elle pas innervée de la prédication évangélique ? L’Église d’aujourd’hui essaie de rattraper ce mauvais pas, mais au prix de ramener le ciel sur la terre, l’essentiel dans l’existentiel, de faire de la Résurrection du Christ avant tout une modalité de la vie anthume, de faire de Marie une femme chef de meute car figure de proue de l’Église,qui marche en avant d’elle (cf. « Lumen gentium » VIII). De même elle doute de tous les dogmes sur lesquels sest bâti le christianisme primitif, à commencer par le péché originel.

L’Église primitive a fait l’impasse sur l’Évangile et l’Église d’aujourd’hui fait l’impasse sur le kérigme. « Je crois dans le Christ mort et ressuscité », dit la première Église ; « je crois dans le Christ qui a parlé », dit l’Église d’aujourd’hui.

lundi 18 mars 2019

La mauvaise conscience

Moi qui ne suis pas la moitié d'un emporté, quand j'affirme, fanfaron, juste après m'être mis en colère, que je ne regrette pas mon emportement (et puis quoi encore?), c'est que ma "violence" me travaille la conscience... Emergé hier après-midi d'une discussion amicale dans un salon de thé légèrement branché: "Le regret, c'est le petit repentir. Le repentir, c'est le grand regret. Le remords, c'est le regret sans fond. La culpabilité, c'est le fond sur lequel travaille le regret sans nostalgie. Le repentir est le moyen de remonter la pente, le remords de la descendre, mais la culpabilité tourne en rond. -Le regret et le repentir sont des véhicules. La culpabilité est le fond sur lequel ce qu'on a fait souffrir à autrui se retourne contre nous pour nous faire payer. -Il y a deux sortes de culpabilité: la culpabilité réelle qui s'exerce sur des fautes que l'on a commises et la culpabilité imaginaire par laquelle le scrupule tourne à l'angoisse. (Les luthériens parlent de terrores conscientiae.) -La conscience du mal a deux écueils: la banalisation et la dramatisation. -Moi qui croyais qu'on "achetait" sa place en enfer par l'absence de remords, je découvre stupéfait que le remords viendrait du démon. Car le remords nous fait mourir deux fois, tandis que le paradis met la mort sous ses pieds non en la relativisant, mais en la terrassant. -La culpabilité est le tremplin de la conscience, étant le terrain de la mauvaise conscience. -Le petit poème en prose où Baudelaire dit la vendre en la jouant au dé montre qu'on peut vendre son âme au diable, mais Jésus peut la racheter. Il est même venu exclusivement pour cela. Il est venu nous faire bénéficier de la loi du Lévira. "Le sens de la rédemption s'est beaucoup dégradé. Autrefois, on croyait que Jésus était venu pour "nous sauver de nos péchés". Aujourd'hui on croit qu'Il nous "guérit de la culpabilité."" (SDB° -Certes, mais pour nous sauver de nos péchés, il faut nous guérir de notre culpabilité. Le sens du péché s'acquiert par surcroît pour ainsi dire, après que le péché ait été remis." -"L'âme de la chair, c'est le sang". (le Lévitique) -La preuve, c'est que la chair est inanimée quand on vide quelqu'un de son sang. -Elle se dessèche. -On peut vampiriser quelqu'un, mais non pas le vider de son eau. -Si, on peut le ponctionner. La violence affective est beaucoup plus subtile et sadique." -Pourquoi, du Seigneur après le coup de lance, est-il sorti du sang et de l'eau? Le sang est l'huile qui se mélange à l'eau salée des larmes pour créer une émotion grasse. L'eau est de l'émotion qui nous humidifie sans drame ni expression de la peine dont nous ne serons jamais secs. -Nathalie me demandait un jour: "Est-ce que le Seigneur vient du Saigneur? Ce serait logique puisqu'Il a donné son sang." L'orthographe le dément, mais pas la phonétique. Les signifiants se choisissent dans un curieux inconscient sémantique. Il faut prendre les mots au mot pour les presser de signification.