lundi 12 avril 2010

marchepied vers la méditation (I): le retrait apophatique

UNE EMISSION OU UN MOINE CHRETIEN BENEDICTIN,
DOMICILIE DANS L'ESSAUNE ET INVESTI DANS LE DIALOGUE INTERMONACHIQUE, NOUS PARLE DE L'EXPERIENCE DE LA MEDITATION ZAZEN QU'IL A FAITE DANS DEUX MONASTERES JAPONAIS

Mes chers lecteurs,

Excusez cette nouvelle incursion pour vous recommander l'émission "les racines du ciel" de France culture (disponible en podcast ou baladodiffusion), émission dans laquelle un moine bénédictin chrétien, Benoît billot, domicilié dans l'essaune, nous parle de la méditation zen telle qu'il la pratique en chrétien, après en avoir fait l'expérience dans deux monastères japonais.

Le journaliste, Frédéric Lenoir, directeur du "monde des religions", commence par lui demander quelles étaient les "frustrations corporelles" qu'il ressentait dans la méditation chrétienne et qui lui ont fait approcher la méditation zen. Il en relève un certain nombre, dont l'intellectualisme très "considératiste" de la méditation d'avant la Réforme du carmel de saint-Jean de la croix, tradition ignacienne dans laquelle il s'agissait de s'imaginer que l'on était un des personnages de la scène évangélique que l'on lisait. Cette "mise en scène" de théâtre d'improvisation mystique, dans la mesure où elle était opposée à la véritable contemplation, laissait notre moine sur sa faim. Par ailleurs, l'attention n'était pas non plus portée à la psychologie dans la spiritualité, psychologie dont benoît billot nous dit qu'elle est, au contraire, présente dans le zen. Eprouvant le besoin de faire le point sur lui-même, notre bénédictin à poursuivi quinze ans de psychanalyse qu'il ne renie pas, qu'il a intégrés à son chemin monastique, l'analyse devenant curieusement partie prenante de la nouvelle "expérience spirituelle" d'union à Dieu qu'il recherchait.

Il parle bien sûr aussi de la position du corps, de l'attention porttée au souffle, du renoncement progressif à nommer Dieu, tandis qu'on rentre en convergence avec les énergies de l'univers, de la non dualité qui s'installe à mesure que ces exercices nous amènent à devenir qui l'on contemple. Il évoque encore les bienfaits de la théologie apophatique (ou théologie négative) comme instrument de ce "devenir Dieu", et fait part de l'émotion que ressentent certains moines boudhistes en assistant à l'eucharistie, en particulier en voyant les moines s'échanger le baiser de paix. Il a vu quelques-uns de ces mystiques réputés impassibles pleurer à ce geste.

Je ne me bornerai dans mon commentaire de cette émission qu'à trois brèves réflexions :

1. L'inspiration que je prends quand je commence à respirer, en même temps qu'elle me fait prendre conscience de l'elargissement de la notion de Dieu qui s'opère en moi, ne me met-elle pas en contact avec l'Inspiration de l'univers, ce que la genèse appelle" l'Esprit qui planait sur les eaux" au moment de la Création ? La communion avec cet "inspire divin" (si je ne craignais de citer Elifaz Lévi) ne nous met-elle pas, en termes plus explicitement chrétiens, en apesanteur et en quête de la grâce, l'alliance de ces deux mots étant ici volontaire, comme une résolution possible du conflit entre la pesanteur et la Grâce, conflit nécessaire à la pensée de simonne Weil et à sa cosmologie de la croix ? (Simonne Weil, dans "PENSEES SANS ORDRE SUR L'AMOUR DE DIEU", a poétisé en philosophe une cosmologie de la Croix, là où Bernanos, dans "SOUS LE SOLEIL DE SATAN", a réalisé en romancier inspiré par la figure du curé d'ars, une théorie de l'influence diabolique à travers les mondes et les sphères : il ne serait pas inutile de comparer ces deux théories…).

2. La théologie apophatique a pour principaux représentants dans le christianisme, apprend-on dans l'émission, le pseudodenys l'aéropagite (qui n'est donc pas seulement l'ordonateur de la nomenclature des 9 choeurs angéliques), Grégoire de Nice et maître Eckart. Par rapport à l'hésychasme d'un evagre le pontique, par exemple, qui est très attentif à surveiller ses pensées, qui exerce sur elles une véritable ascèse, la théologie apophatique (ou théologie négative)constitue une réfutation avant l'heure de la critique de feuerbach, selon laquelle le christianisme ne cherche qu'à attribuer à Dieu les qualités qui manquent à l'homme lui-même, La théologie apophatique dénie à dieu les moindres qualités, pour autant qu'elles pourraient nous faire courir le risque d'assimiler "la déité" à ce que nous sommes, pour employer le vocabulaire de maître eckart. Or dieu n'est pas seulement l'etre sans défaut : Il est sans identité possible avec ce que nous sommes. La théologie apophatique veut prévenir tout danger d'anthropomorphisme. Il me semble qu'elle est la transposition, dans la méditation chrétienne, du refus absolu qu'oppose la piété juive à prononcer le Nom de dieu, car mettre la main sur le Nom, c'est détenir le secret.

3. Pourtant, il faut bien un support à notre méditation, comme en témoigne la répétition des mantras, dont n'a pas pu s'abstenir le christianisme, en dépit de la mise en garde qui lui a été adressée par son Maître de ne pas "rabâcher comme les païens". Saint-dominique de Guzman a peut-être inventé le rosaire en empruntant cette pratique répétitive aux musulmans qu'il cherchait à convertir en les voyant réciter leur chapelet. le mot "mantra" aurait pour racine dans la langue indienne : "ce qui protège l'esprit". Le chrétien qui prie la vierge Mère, elle qui a réalisé le sommet de l'idéal mystique en enfantant dieu en elle, espère en obtenir une protection contre "les forces du mal". Or je me demande dans quelle mesure il ne serait pas opportun,en particulier parce que ce serait une manifestation significative de notre désir de faire advenir la paix en contrecarrant la promesse de "choc des civilisations" dont se sent menacé le monde, de reprendre à notre compte les 99 attributs de dieu qu'ont mis en évidence les mystiques musulmans. Je n'ai jamais pu me procurer la liste de ces attributs pour en faire le support de mapropre prière contemplative, et j'en éprouve bien du regret. Remarquons que ces 99 attributs laissent la place libre au centième que l'on ne prononcepas, comme dans la théolgie apophatique, comme dans l'abstention que font les Juifs de prononcer le Nom de Dieu autrement que par ashem : le NOM. De plus, je crois qu'il y a une grande sagesse spirituel à substituer le qualitatif (à travers l'attributif) au substantif, même récusé par la négative. Dieu est Qualité quand l'homme est sans cesse en quête d'une solution quantitative, identifiable,dénombrable.

"La spiritualité est-elle vraiment universelle", tandis que la dogmatique nous dualise et nous sépare ? Tous les supports de spiritualité se valent-ils, si toutes les religions ne se valent pas ? comme le disait Jean-Paul II dans son invitation à assise, à défaut de prier ensemble, ne peut-on pas "se mettre ensemble pour prier ?" ?