mercredi 16 novembre 2022

De la culpabilité

Platon disait que "nul n'est méchant volontairement". C'est certainement trop facile. Mais le péché ne fait que des victimes et le pécheur est victime de lui-même en faisant d'autres victimes dans le sillage de sa faute. Personne n'est coupable du péché que l'ennemi de nos âmes par lequel nous sommes agis plus que nous n'agissons quand nous cédons à la pulsion de mort qui nous fait parfois tuer. Nous appelons métaphoriquement cet ennemi de nos âmes le diable, la métaphore est bonne. Je me suis fait plaisir et me suis cru malin en disant à mon psychanalyste que j'avais vu le diable en voyant mon double. Je maniais les symboles et ne le regrette pas. Le péché ne fait que des victimes et le pécheur n'est pas coupable de son péché au sens où il faudrait ajouter au mal commis le démon de la culpabilité. 


Je ne me comprends pas moi-même quand je dis qu'il faut absolument distinguer entre péché et culpabilité, car les deux notions paraissent trop profondément intriquées, et pourtant je suis sûr qu'il y a là un chemin que la psychologie doit emprunter si elle espère faire sortir un jour les personnes humaines de cette spirale infernale de la victimisation sans résilience et de la culpabilité sans rémission. René Girard et Jean-Michel Oughourlian en ont touché quelque chose quand ils ont dit que, dans une maladie psychique, il n'y avait pas le malade et la personne saine accompagnante, mais il y avait un jeu de rôles malsain entre ces deux personnes où le sain rend malade et où le malade n'est ni malsain, ni toujours celui que l'on croit. Je crois savoir de quoi je  parle, car j'ai vécu vingt années durant avec une personne qui souffrait de maladie psychique. Je ne me croyais ou ne me savais pas malade et je croyais bien l'accompagner. Or je l'ai si mal accompagnée  qu'elle n'a pas eu d'autre solution que de me quitter. Cette réversibilité des rôles entre la personne prétendument malade et la personne prétendument saine est le seul caractère opératoire que revêt dans mon esprit la pensée de René Girard. 


Le péché ne fait que des victimes et personne n'en est coupable, sinon le déterminisme par lequel notre liberté n'est pas si grande que des forces ne nous agissent envers et contre nous-mêmes. Personne n'est coupable du péché, sinon le péché originel. Vous allez dire que j'en prends à mon aise en métaphorisantà souhait les notions de péché originel et de diable, mais je crois que leur construction symbolique peut être la clef de guérison des névroses qu'elles ont éventuellement provoquées. Si j'osais (mais là, je me fourvoie peut-être), je dirais que personne n'est coupable du  péché sinon le déterminisme qui a fait de l'homme un sujet de hantise du mal et que la Providence qui a permis à ce déterminisme de jouer à plein. Mais ce n'est pas à moi de soupçonner ni d'accuser Dieu. 


Le péché ne fait que des victimes et personne n'en est coupable. Et personne n'est prioritaire dans la reconnaissance du mal commis, ni les victimes reconnues ni les coupables avérés, même si les victimes, dans leur désir de reconnaissance légitime,  doivent jouir de plus de compassion de la part de la société que ceux qui leur ont fait du mal, sans que la justice doive être rendue au nom des victimes sous peine d'être une justice vindicative. 


Il faudrait pourtant aider les coupables qui restent dans le déni à se déclarer coupables au sens courant de ce terme. Car cela aiderait leurs victimes qu'ils cessent de nier le mal qu'ils leur ont fait. 


Je suis pour que l'on substitue à la notion de culpabilité qui ne produit que sa propre déperdition la notion de responsabilité qui est un premier pas vers la réparation de la victime et vers la conversion du pécheur qui s'est reconnu coupable de s'être laissé entraîner dans la tentation. Mais même si elle est impossible, tant le préjudice moral a causé de traumatismes, la réparation de la victime prime la conversion du pécheur responsable de ses actes bien que déterminé jusqu'à un certain point à les commettre. 

samedi 4 juin 2022

Le miracle n'aura pas lieu

et le miracle, cest qu'il n'ait pas lieu.


MetaBlog: La sainte Eglise catholique (ab2t.blogspot.com)


Cette belle méditation (car tout commentaire du credo ne saurait en être qu'une méditation) montre que tout ce qu'énonce le Symbole des apôtres après l'affirmation de la foi dans les trois personnes divines (la vie spirituelle est un prolongement de la vie trinitaire) est une apposition du rôle de l'Esprit Saint dans la création continue comme une action de Celui-ci, et l'Eglise catholique est la première de ses appositions. Au bout de la chaîne de ces appositions, il y a la rémission des péchés, qui rend possible la résurrection de la chair, c'est-à-dire le fait pour la chair criminelle de mettre un pied devant l'autre sans se regarder dans la glace et subir le supplice du miroir, et la vie éternelle, où l'Esprit qui planait sur les eaux réconcilie notre chair criminelle, christifiée par le Verbe qui vient y semer une parole, pour la réussite de la convocation divine adressée au premier Adam.


"L'Eglise est antérieure au Christ" comme "le bercail" précède le troupeau: cette audace métaphysique de l'auteur rappelle celle où, dans son livre "Délivrés", il montrait que le chrétien a la liberté d'aller et de venir,  d'"entrer et de sortir du Christ". Le bercail précède le troupeau au terme de "l'Evangile éternel" qui fait que nous rêvons tous de ne pas avoir le même chemin ("J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie"), mais d'avoir le même port. Port d'attache où l'"unité" soit possible sans qu'unité rime avec uniformité, sans que l'individu se perde dans le collectif et son "esprit d'équipe", sans que la collectivité dégénère en collectivisme. Nous rêvons de faire corps sans parvenir à soulever la chape de plomb d'une solitude dans laquelle, disent les pessimistes, l'homme naît, grandit et meurt seul. Or les deux vérités se concilient: l'homme est seul et il n'existe que de former un corps avec les autres hommes, sous la motion de l'Esprit, "l'âme incréée de l'Eglise", pour donner corps à la Parole du Christ qui a animé la chair.


L'Evangile a annoncé le Royaume et c'est l'Eglise qui est venue. "Tant d'hommes entre Dieu et moi" depuis que "l'unique Médiateur" est descendu dans la chair. Comment l'Eglise peu-elle être "la seule internationale qui tienne", comme aime à le répéter notre auteur dans un trait qu'il affectionne? L'Eglise est la seule internationale qui tienne parce qu'elle concentre le plus d'hommerie. La sainteté qui en émane n'est pas une sainteté caractérielle, mais elle rayonne de la sainteté de Dieu,  le seul Saint.


"Ce ne sont pas les bienportants qui ont besoin du médecin, mais les malades" pour qu'"il y (ait) plus de joie au ciel pour un seul pécheur qui se convertit que pour 99 justes qui n'ont pas besoin de conversion." C'est pourquoi Jésus s'est fait "homme à l'exception du péché" (nous ne sommes pas à un oxymore près), mais Il s'est fait surtout médecin, un médecin à qui ses malades lancent: "Médecin, guéris-toi toi-même", comme on fait procès aux professeurs de bonheur de n'être pas heureux en leur disant avec Aragon, non pas que "la femme est l'avenir de l'homme", mais que "qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes". 


Françoise Dolto estimait que le coup de génie du "Christ thérapeute" comme aurait parlé Maurice Bellet était de  demander  à son malade ce qu'il voulait que le médecin fasse pour lui, ou encore: "veux-tu guérir?" Si le malade répond honnêtement, il avouera que non. "Veux-tu vraiment ce que tu désires?", demandait Jacques Lacan à ses patients. Toute thérapie se heurte à la buttée du vouloir : le malade ne veut pas guérir alors qu'il demande la guérison à son médecin qui lui promet de commencer par ne pas lui nuire: "Primum non nocere".  


Rien n'est plus mystérieux que la volonté. De quel droit dit-on "je veux"? Comment veut-on? Pourquoi ne veut-on pas? La volonté est un muscle, c'est-à-dire qu'elle s'entraîne, on s'entraîne à vouloir, vouloir comme aimer est un effet d'entraînement, vive les entraîneurs et les entraîneuses! Mais la volonté ne veut pas comme l'amour n'est pas aimé, pourquoi? Et pourquoi ne parle-t-on que de la volonté de Dieu, comme si celle-ci précédait la liberté qu'Il nous donne, comme si Dieu n'était que Volonté comme il est censé n'être qu'amour? 


La volonté ne veut pas, parce que le malade a besoin du médecin, mais le médecin n'a pas besoin et n'a pas promis que le malade guérirait.  Le médecin est le premier des incurables: il ne peut pas plus se guérir lui-même que se sauver lui-même ou descendre de la croix. Il n'est pas venu pour faire des miracles, sauf à titre exceptionnel, pour confirmer la règle de la maladie de l'homme, tant qu'il n'est pas sauvé. Il est venu accompagner le malade et là est le miracle permanent, qui réalise l'unité de l'homme en échec, qui soudain réussit, à répondre à l'appel de Dieu, réussit à renaître. C'est entre autres ce que nous montre cet article. 

samedi 28 mai 2022

Ca parle en moi comme une Trinité

Une façon de poser la question de Dieu: y a-t-il quelqu'un au centre de cette conscience qui me tutoie?


La nature peut certes être invoquée pour prouver l'existence de Dieu; mais moi qui ne vois pas, elle ne me parle pas ou elle me parle peu. En revanche:


Une façon de poser la question de la Trinité est un détour par la parole:


      certes, le moi, le ça et le surmoi sont une analogie convenable: on peut évoquer la topique freudienne; mais plus me parle le fait que tout parle en moi, la conscience est un vaste espace d'interlocution.


-Quelque chose me tutoie comme si je lui étais extérieur; je tutoie quelque chose que je ne connais pas, et ce va-et-vient entre le "je" et le "tu" fait que je réfléchis. 


-Mais surtout je me critique comme si j'étais extérieur à mes actees ou étranger à mon jeu. "Il" est mon pronom critique. "Il" est le pronom que j'emploie quand, en moi, je parle de moi. 


-Ce qui fait ma différence avec la Trinité, je me critique entre laudation narcissique et dépréciation pathologique, mais sans mansuétude et sans miséricorde; alors que la Trinité se critique en s'aimant dans la juste mesure, non démesurément; en voyant ce qu'elle a fait de bon, et cet amour est bon qu'elle se porte.