samedi 21 octobre 2023

L'enfance

(écrit grace à l'émulation réseau-sociale d'un texte de Philippe Hourcade disponible ici:


Ce soir, j'ai "joué" (à l'orgue et j'ai joué comme un enfant) ou accompagné une messe où le prêtre disait pour introduire le "Notre Père": "Jésus est le premier des enfants, c'est pourquoi Il nous a appris à dire "notre Père"."


Jean-Yves Tadié disait que Nathalie Sarraute, en écrivant "Enfance", sans doute son chef-d'oeuvre, s'est montrée une "musicienne de nos cilences".

La meilleure définition que jaie jamais entendue donner de l'autre est ce que m'a dit une soeur des enfants: "Ils sont tout entiers dans ce qu'ils font" et parce qu'ils sont immédiatement dans la spontanéité, ils sont dans l'altérité sans le savoir.

"Si vous ne devenez comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux." Ste Thérèse de Lisieux a puérilisé, a bétifié le propos en parlant de la voie d'enfance comme d'une "confiance" abandonnée entre les bras du Père hors de toute turbulence et jusqu'à être "une petite balle" entre les mains ou sous les pieds de "l'enfant Jésus".

l'enfance n'est pas que puérile, elle est virile. Viril est ce qu'a dit Sartre de l'enfance de l'orphelin de père qu'il était: "Tout orphelin est un dictateur." ("Les mots". L'Enfant Jésus auquel s'offrait la petite Thérèse ne négligeait pas d'écraser sa petite balle.

L'Eglise désabusée des abus commis sur les enfants a accusé l'immaturité de ceux qui n'avaient pas su devenir adultes, dans l'ignorance de la "culture de l'abus". Oui mais être désabusé, c'est aussi refuser d'être sauvé. Croire qu'on est sauvé, c'est se laisser abuser.

Scandale de l'enfance à la recherche d'un langage où le Verbe, où le Logos adulte veut passer le langage qui passe au fil de l'écriture qui "regarde passer le langage" tellement déterminant (Roland Barthes), qui passe et puis l'oublie, car comme l'écrivain qui oublie tout ce qu'il a écrit, l'enfant ne veut pas retenir, à la différence du Logos des adultes qui veut tout expliquer.

L'enfant n'est pas porté au pinacle par ses parents hors de tout caprice, mais le miracle de l'amour parental est de le porter au pinacle au sein de son caprice. Et puis le miracle se perd et parents et enfants se déçoivent mutuellement. La déception est la corrosion de l'illusion perdue du miracle.

"Lorsque l'enfant paraît", ses parents oublient que lui aussi participe du péché originel. L'enfant est lui aussi un "pervers polymorphe".

L'humanité est une et l'enfance en est un âge, mais l'humanité est en nage et elle nage à l'étroit, l'enfance n'avance plus au large.

Je comprends que l'enfant rêve d'être le premier dans la compétition, mais je n'aime pas la citation de Bernanos qui dit que le premier à nous chercher au lieu de l'avare Achéron doit être "le petit garçon" qu'a été le boy-scout, en tête de la troupe, come si ceux qui nous justifient après le Christ n'étaient pas nos proches qui nous ont le plus aimés. Nous sommes individualistes jusque dans la manière dont nous voulons être emportés dans notre passage et dans notre "échappement". Notre enfance n'est pas la compagne de notre "bonne mort", même si elle est souvent la compagne de notre morbidité.

Elle m'attriste, cette nouvelle matrice de l'Eglise qui ne croit pas plus au miracle qu'elle ne veut de l'enfance au nom de la maturité qu'aurait le Christ adulte, malgré son être-Fils déclaré dans tous les pores de l'Evangile jusqu'à la plus servile des obéissances à la Volonté paternelle indiquant la direction et orientant la loi de son être.

L'Église a tué le Fils, mais le Fils n'a jamais tué le Père, et pourtant ce n'est pas une solution que de se poser en fils, j'aimerais connaître une religion de la désaffiliation, moi qui n'ai jamais été un enfant.

Ce qui me reste de l'enfance, c'est la nostalgie d'avoir été blessé au point de reproduire et de blesser à mon tour. J'ai été ému jusqu'aux larmes par ce dénouement d'un roman japonais où les héros amoureux se réveillaient en ayant conscience de sertir leurs enfances blessées dans leur amour.

Mais l'enfance est d'abord un vécu de liberté. L'enfance qui refonde une confiance inaugurale sur une liberté qui n'a jamais été vécue est une fiction de l'âge adulte, et je suis bien parti pour être "vieux sans être adulte", comme "les Vieux amants" de Jacques Brel que j'ai toujours aimé . 

"La divinité chrétienne" selon Gilberte Périer, soeur et biographe de Blaise Pascal

Voici comment Gilberte Périer résume la pensée de son frère Blaise Pascal

(j'ai conservé la graphie en Français du Grand siècle bien que j'aie ménagé des paragraphes pour l'intelligibilité du raisonnement. Attention, extrait superbe, morceau d'anthologie, un texte maître-à-vivre, :


"La Divinité des chrétiens ne consiste pas seulement en un Dieu simplement auteur des veritez geometriques et de l’ordre des elements ; c’est la part des payens. Elle ne consiste pas en un Dieu qui exerce sa providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse suitte d’années ; c’est la part des Juifs. Mais le Dieu d’Abraham et de Jacob, le Dieu des chrestiens est un Dieu d’amour et de consolation : c’est un Dieu qui remplit l’ame et le cœur de ceux qui le possedent. C’est un Dieu qui leur fait sentir interieurement leur misere, et sa misericorde infinie ; qui s’unit au fond de leur ame ; qui les remplit d’humilité, de foy, de confiance et d’amour ; qui les rend incapables d’autre fin que de luy mesme. Le Dieu des chrestiens est un Dieu qui fait sentir à l’ame qu’il est son unique bien ; que tout son repos est en luy, qu’elle n’aura de joye qu’à l’aymer ; et qui luy fait en mesme temps abhorrer les obstacles qui la retiennent, et l’empeschent de l’aimer de toutes ses forces. L’amour-propre et la concupiscence qui l’arrestent luy sont insupportables, et Dieu lui fait sentir qu’elle a ce fond d’amour propre et que luy seul l’en peut guerir.



Voilà ce que c’est que connoistre Dieu en chrestiens. Mais pour le connoistre en cette maniere, il faut connoistre en mesme temps sa misere et son indignité et le besoin qu’on a d’un Mediateur pour s’approcher de Dieu et pour s’unir à luy. Il ne faut point separer ces connoissances, parce qu’estant separées, elles sont non seulement inutiles, mais nuisibles.


La connoissance de Dieu sans celle de notre misere fait l’orgueil. Celle de notre misere sans celle de Jesus Christ fait nostre desespoir ; mais la connoissance de Jesus Christ nous exempte de l’orgueil et du desespoir ; parce que nous y trouvons Dieu, seul consolateur de notre misere, et la voye unique de la reparer.


Nous pouvons connoistre Dieu sans connoistre notre misere, ou notre misere sans connoistre Dieu ; ou mesme Dieu et notre misere, sans connoistre le moyen de nous delivrer des miseres qui nous accablent. Mais nous ne ouvons connoistre Jesus Christ, sans connoistre tout ensemble et Dieu et notre misere ; parce qu’il n’est pas simplement Dieu, mais un Dieu reparateur de nos miseres."


https://fr.wikisource.org/wiki/Vie_de_Monsieur_Pascal/Vie...


J'avais lu la "Vie de Pascal" écrite par François Mauriac, mais c'est la lettre apostolique d'un autre François sur Pascal qui m'a donné envie de me plonger dans cette source primaire et je ne le regrette pas, même si Gilberte n'est pas sans succomber à la tentation d'ancrer son frère et la légende familiale dans la légende dorée.


Mais qu'est-ce qui a pu donner envie au pape François de célébrer Pascal? Le pape jésuite, adepte de la spiritualité du "Pacte des catacombes" (cf. après-midi des Pères et des mères synodaux), converge avec le pamphlétaire janséniste passé maître dans la résolution et dans la contemplation des mystères, pour dénoncer le semi-pélagianisme, qui croit que l'homme est capable de rien par ses seules forces.


L'option préférentielle du chef d'une "Eglise pauvre pour les pauvres" qui la détourne en l'appauvrissant de la "mondanité spirituelle" tout en feignant de parler comme les grands de ce monde, rencontre le génie scientifique transpercé par Dieu, qui a converti ses spéculations en faisant du "Connais-toi toi-même" un chemin d'humilité et un milieu entre la connaissance de l'univers et la connaissance de sa misère; en ne se percevant plus soi-même comme une expansion réfléchie de l'univers; et, dans cette humiliation de se voir assigner une limite infligée par l'Infini, dans cette "plaie", dans cette brèche "ouverte" par la connaissance de sa misère qui est le propre de l'homme, là où l'amour-propre est le sale de l'homme restant seul et livré à lui-même, grain de blé qui ne veut pas mourir (au lieu d'apprendre à passer... à autre chose qu'à son "moi haïssable"), en rencontrant Jésus-Christ dans cette plaie, comme le réparateur de nos misères, Dieu médiateur et consolateur, indispensable complément métaphysique (pour l'entendement humain, s'entend!) au Dieu créateur.