lundi 18 mars 2019

La mauvaise conscience

Moi qui ne suis pas la moitié d'un emporté, quand j'affirme, fanfaron, juste après m'être mis en colère, que je ne regrette pas mon emportement (et puis quoi encore?), c'est que ma "violence" me travaille la conscience... Emergé hier après-midi d'une discussion amicale dans un salon de thé légèrement branché: "Le regret, c'est le petit repentir. Le repentir, c'est le grand regret. Le remords, c'est le regret sans fond. La culpabilité, c'est le fond sur lequel travaille le regret sans nostalgie. Le repentir est le moyen de remonter la pente, le remords de la descendre, mais la culpabilité tourne en rond. -Le regret et le repentir sont des véhicules. La culpabilité est le fond sur lequel ce qu'on a fait souffrir à autrui se retourne contre nous pour nous faire payer. -Il y a deux sortes de culpabilité: la culpabilité réelle qui s'exerce sur des fautes que l'on a commises et la culpabilité imaginaire par laquelle le scrupule tourne à l'angoisse. (Les luthériens parlent de terrores conscientiae.) -La conscience du mal a deux écueils: la banalisation et la dramatisation. -Moi qui croyais qu'on "achetait" sa place en enfer par l'absence de remords, je découvre stupéfait que le remords viendrait du démon. Car le remords nous fait mourir deux fois, tandis que le paradis met la mort sous ses pieds non en la relativisant, mais en la terrassant. -La culpabilité est le tremplin de la conscience, étant le terrain de la mauvaise conscience. -Le petit poème en prose où Baudelaire dit la vendre en la jouant au dé montre qu'on peut vendre son âme au diable, mais Jésus peut la racheter. Il est même venu exclusivement pour cela. Il est venu nous faire bénéficier de la loi du Lévira. "Le sens de la rédemption s'est beaucoup dégradé. Autrefois, on croyait que Jésus était venu pour "nous sauver de nos péchés". Aujourd'hui on croit qu'Il nous "guérit de la culpabilité."" (SDB° -Certes, mais pour nous sauver de nos péchés, il faut nous guérir de notre culpabilité. Le sens du péché s'acquiert par surcroît pour ainsi dire, après que le péché ait été remis." -"L'âme de la chair, c'est le sang". (le Lévitique) -La preuve, c'est que la chair est inanimée quand on vide quelqu'un de son sang. -Elle se dessèche. -On peut vampiriser quelqu'un, mais non pas le vider de son eau. -Si, on peut le ponctionner. La violence affective est beaucoup plus subtile et sadique." -Pourquoi, du Seigneur après le coup de lance, est-il sorti du sang et de l'eau? Le sang est l'huile qui se mélange à l'eau salée des larmes pour créer une émotion grasse. L'eau est de l'émotion qui nous humidifie sans drame ni expression de la peine dont nous ne serons jamais secs. -Nathalie me demandait un jour: "Est-ce que le Seigneur vient du Saigneur? Ce serait logique puisqu'Il a donné son sang." L'orthographe le dément, mais pas la phonétique. Les signifiants se choisissent dans un curieux inconscient sémantique. Il faut prendre les mots au mot pour les presser de signification.

mardi 8 janvier 2019

Le potentiel et le réel

Léon Bloy tempétant contre les bourgeois qui veulent « [être poètes à leurs heures »] a raison de noter que le poète ne saurait l’être aux heures des autres, car la poésie le métabolise de telle sorte qu’il ne puisse rien prévoir qu’improviser. Imprévisible improvisation ! Dans le même genre, il a l’air de dire que le potentiel est plus beau que le réel. (On est loin du « RETOUR AU REEL de Gustave Thibon que j’ai entendu évoquer deux fois en deux jours, alors que je ne connaissais pas ce livre. Le potentiel est plus beau que le réel parce qu’il n’a pas été investi, non d’efforts, mais de capital, voire de capital personnel. La création n’est pas une mise en gages, un en-gagement. La création est une évidence. Dieu créée par un évident besoin de sortir de Lui-même. L’investisseur est celui qui ne sait à quoi bon employer son temps ou son argent. Le temps et l’argent s’emploient d’eux-mêmes, inutile de chercher à les maîtriser. Le temps et l’argent sont des choses, même si le temps fait partie du phénomène humain, est le train dans lequel l’âme roule à son évasion, à son accomplissement, àsa mise en dehors, à sa révélation. Le temps et l’argent sont des choses, il ne faut maîtriser que soi. Un jour, T.M. me disait : « Vous avez un sacré potentiel », et cela m’a paru faux, non que j’aie du potentiel, mais on n’est pas son potentiel, même réalisé. Le réalisateur de potentiel monte sa vie comme un film montrable. Le potentiel non réalisé aime mieux être regardé comme un « monstre prometteur », moins pour que sa vie ne soit pas montrable, que pour qu’elle n’emprisonne pas le possible et démontre la promesse.