jeudi 27 avril 2023

Le "je" et le "nous"

La question du "je" est à la fois vertigineuse et plonge qui se la pose dans une profonde humilité. Elle se ramène, me semble-t-il, à la question de la conscience, sous ses trois modalités pronominales: 


- Comment émerge ma conscience, ou pourrais-je raconter l'histoire de ma prise de conscience et la généalogie de mon "je" sortant de la confusion indistinctive en découvrant son jeu? 


-Qui est mon "tu"? Qui pense quand je crois penser? Y a-t-il quelqu'un au centre de ma conscience que je tutoie ou qui me parle comme une voix intérieure ou suis-je un autre? (Question de Dieu et conscience poétique.) 

   Et c'est ici qu'on peut être pris de vertige, car il y a un dédoublement dans la conscience du penseur qui tout à coup se voit penser, comme l'origine de "la mémoire involontaire" de Proust est dans cette vision de soi se souvenant beaucoup plus que dans le souvenir, la "double (ou la fausse) reconnaissance" dirait Bergson ou la réminiscence. 


-Et comment l'appropriation de la conscience qui m'a distingué et qui se dédouble quand je réfléchis et réfléchis le monde en y réfléchissant peut-elle m'ouvrir à la troisième personne, soit en me faisant accéder au monde commun du "on" si je savoure les joies de la neutralité qui me fait "être avec", dans la bienveillance, ou au pronom critique du "il" si je m'abandonne aux joies superficielles de l'enfant rebelle qui se pose en s'opposant et se prend pour un continent misanthrope réglant ses comptes avec l'insulaire humanité liguée contre son monde intérieur? 

   Le "on" cherche les points d'accord de la raison humaine et de ce fait il trouve des points d'appui, le "il" cherche les torts à partir des points aveugles de celui qui réfléchit et prétend s'imposer par différenciation, clivage et conflits. 


Le "nous" que je perçois se confond avec le "nous" des Grecs, avec l'esprit du monde, avec la pensée sous-jacente au monde qui le dirige comme son inconscient en dirigeant nos actes, comme l'inconscient du monde beaucoup plus que comme une Providence maîtresse de l'histoire. Je ne le vois pas comme le sentiment du collectif qui est le revers de l'individualisme ouvrant à l'apocalypse structurelle dans laquelle s'enkystent nos rapports humains.