samedi 21 octobre 2023

"La divinité chrétienne" selon Gilberte Périer, soeur et biographe de Blaise Pascal

Voici comment Gilberte Périer résume la pensée de son frère Blaise Pascal

(j'ai conservé la graphie en Français du Grand siècle bien que j'aie ménagé des paragraphes pour l'intelligibilité du raisonnement. Attention, extrait superbe, morceau d'anthologie, un texte maître-à-vivre, :


"La Divinité des chrétiens ne consiste pas seulement en un Dieu simplement auteur des veritez geometriques et de l’ordre des elements ; c’est la part des payens. Elle ne consiste pas en un Dieu qui exerce sa providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse suitte d’années ; c’est la part des Juifs. Mais le Dieu d’Abraham et de Jacob, le Dieu des chrestiens est un Dieu d’amour et de consolation : c’est un Dieu qui remplit l’ame et le cœur de ceux qui le possedent. C’est un Dieu qui leur fait sentir interieurement leur misere, et sa misericorde infinie ; qui s’unit au fond de leur ame ; qui les remplit d’humilité, de foy, de confiance et d’amour ; qui les rend incapables d’autre fin que de luy mesme. Le Dieu des chrestiens est un Dieu qui fait sentir à l’ame qu’il est son unique bien ; que tout son repos est en luy, qu’elle n’aura de joye qu’à l’aymer ; et qui luy fait en mesme temps abhorrer les obstacles qui la retiennent, et l’empeschent de l’aimer de toutes ses forces. L’amour-propre et la concupiscence qui l’arrestent luy sont insupportables, et Dieu lui fait sentir qu’elle a ce fond d’amour propre et que luy seul l’en peut guerir.



Voilà ce que c’est que connoistre Dieu en chrestiens. Mais pour le connoistre en cette maniere, il faut connoistre en mesme temps sa misere et son indignité et le besoin qu’on a d’un Mediateur pour s’approcher de Dieu et pour s’unir à luy. Il ne faut point separer ces connoissances, parce qu’estant separées, elles sont non seulement inutiles, mais nuisibles.


La connoissance de Dieu sans celle de notre misere fait l’orgueil. Celle de notre misere sans celle de Jesus Christ fait nostre desespoir ; mais la connoissance de Jesus Christ nous exempte de l’orgueil et du desespoir ; parce que nous y trouvons Dieu, seul consolateur de notre misere, et la voye unique de la reparer.


Nous pouvons connoistre Dieu sans connoistre notre misere, ou notre misere sans connoistre Dieu ; ou mesme Dieu et notre misere, sans connoistre le moyen de nous delivrer des miseres qui nous accablent. Mais nous ne ouvons connoistre Jesus Christ, sans connoistre tout ensemble et Dieu et notre misere ; parce qu’il n’est pas simplement Dieu, mais un Dieu reparateur de nos miseres."


https://fr.wikisource.org/wiki/Vie_de_Monsieur_Pascal/Vie...


J'avais lu la "Vie de Pascal" écrite par François Mauriac, mais c'est la lettre apostolique d'un autre François sur Pascal qui m'a donné envie de me plonger dans cette source primaire et je ne le regrette pas, même si Gilberte n'est pas sans succomber à la tentation d'ancrer son frère et la légende familiale dans la légende dorée.


Mais qu'est-ce qui a pu donner envie au pape François de célébrer Pascal? Le pape jésuite, adepte de la spiritualité du "Pacte des catacombes" (cf. après-midi des Pères et des mères synodaux), converge avec le pamphlétaire janséniste passé maître dans la résolution et dans la contemplation des mystères, pour dénoncer le semi-pélagianisme, qui croit que l'homme est capable de rien par ses seules forces.


L'option préférentielle du chef d'une "Eglise pauvre pour les pauvres" qui la détourne en l'appauvrissant de la "mondanité spirituelle" tout en feignant de parler comme les grands de ce monde, rencontre le génie scientifique transpercé par Dieu, qui a converti ses spéculations en faisant du "Connais-toi toi-même" un chemin d'humilité et un milieu entre la connaissance de l'univers et la connaissance de sa misère; en ne se percevant plus soi-même comme une expansion réfléchie de l'univers; et, dans cette humiliation de se voir assigner une limite infligée par l'Infini, dans cette "plaie", dans cette brèche "ouverte" par la connaissance de sa misère qui est le propre de l'homme, là où l'amour-propre est le sale de l'homme restant seul et livré à lui-même, grain de blé qui ne veut pas mourir (au lieu d'apprendre à passer... à autre chose qu'à son "moi haïssable"), en rencontrant Jésus-Christ dans cette plaie, comme le réparateur de nos misères, Dieu médiateur et consolateur, indispensable complément métaphysique (pour l'entendement humain, s'entend!) au Dieu créateur. 

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