lundi 27 novembre 2017

J'ai peur du vide


Dieu ne sait pas ce qu’Il attend. Ainsi parlait Patrick. « L’espoir fait vivre et l’attente fait mourir ». Ainsi parlait Renée. « On passe sa vie à attendre », soupirait Gérard qui ne faisait rien. Depuis que je suis sorti de l’enfance, je n’ai plus de patience, j’ai peur du silence et je répète les confidences.  La patience a cessé d’être ma qualité principale. Je suis sorti de l’enfance, hormis mon esprit dispersé comme un enfant sans discipline.

 

Dieu ne sait pas ce qu’Il attend, est-ce à dire qu’Il attend toujours ? Et si l’attente fait mourir, Dieu ne Se fait-Il pas mourir en passant Sa vie à attendre ? Il cherche la brebis perdue qui ne se satisfait pas des ténèbres. On se satisfait des ténèbres de crainte d’être ébloui. Sans compter la mauvaise volonté. Dieu n’est pas malade de la volonté. Sa patience n’est pas désespérée puisque la Volonté de Dieu est l’espérance de Dieu.

 

Mais moi, j’ai peur du vide. Il contrarie le sens des masses dont je me sers pour me guider. Le vide ne m’attire pas en bas ni dans la masse, mais dans le renfoncement. J’ai toujours soutenu qu’il ne fallait jamais laisser quelqu’un dans le vide. Le vide est cause de suicide. L’incompréhension ne fait pas se taper la tête contre les murs, mais se jeter dans un gouffre, malgré soi. Je crains d’avancer à gouffre intérieur ouvert. Nous nous étions promis de fiancé à fiancée de ne jamais nous laisser dans le vide même si nous devions nous séparer. Mais cette parole n’a pas été tenable. Nathalie est partie sans explication parce que je l’avais beaucoup offensée. Depuis, je rêve qu’elle me revienne et que la chaleur de ses bras m’entoure et me choisisse.

 

J’ai peur du vide, mais l’imprévu me remonte le moral. Il suffit que rien ne se passe comme prévu et je me dis que ma vie est magnifique parce qu’elle est atypique. On peut faire des orgies de rencontres. L’imprévu conforte l’improvisateur. Si Dieu ne sait pas ce qu’Il attend, est-ce à dire qu’Il improvise ? Dieu créée-t-Il à l’improviste ? La fantaisie est préférable à la folie. L’imprévu, c’est le grain de fantaisie, mais toutes les fantaisies ne sont pas improvisées. La fantaisie n’est pas impromptue. Qui n’improvise pas compose. Qui compose se compromet. Je ne sais pas composer. Dieu compose-t-Il ? Dieu se compromet-Il ?

 

Je disais à Nathalie : « Je t’aime comme je crois en Dieu ». Mon amour relevait de la foi. Lui manquaient les preuves d’amour. Je l’aimais en croyant, bien que l’amour soit charité. Je l’aimais, non pas en principe, mais en dyspractique. Autrefois, je croyais que Dieu croyait en l’homme. Mais si Dieu ne meurt pas d’impatience, alors il y a plus d’espérance en dieu que de foi. Où est la charité dans l’amour ? Nous manquons de pratique. « Je t’aime comme je crois en Dieu », disais-je à Nathalie. Nathalie est partie, mais Dieu reste.  Dieu ne me quitte pas pour me laisser à dire. La Parole de Dieu est comme un reste-à-dire. Dieu ne me quitte pas comme on laisse une marge de discours. Avant de mourir, Prévert s’interpella : « J’ai encore tant de choses à me dire ».

 

On s’étonne que je n’aime pas assez la joie comme on disait à ma mère qu’elle était inapte au bonheur. Mais la joie ne laisse pas de marge de discours. La joie qui ouvre à l’indicible ferme l’extension du domaine de la lutte pour l’art. La joie est souhaitable, mais l’art est nécessaire. L’art convoque à faire du beau pour la Gloire de Dieu et pour y trouver son compte, à supposer que la beauté sauve le monde.

 

Si le vide m’attire dans ses renfoncements, mon risque existentiel ne vaut plus la peine d’être couru, car il n’est pas connu. Le renfoncement isole chacun dans sa case. La case est une maison sans cause. La case où nous jette le vide est le lieu de la parole inhabitée. Nathalie et moi bâtîmes une maison de parole. Ce que la parole a bâti est indéniable, mais n’a pas besoin de titre d’existence. La parole n’est pas le langage et les mots ne sont pas la parole. Le langage est le mystère par lequel l’esprit met le feu au vide en passant dans le locuteur indépendamment de lui et sans lui demander son consentement. Les mots sont la segmentation de la parole en autant d’occasions d’égarement, de sorte qu’on se perde en paroles.

 

Verbaliser n’est pas crééer selon le Verbe, ce n’est que dérouler le visible. Si verbaliser revenait à crééer selon le Verbe, il suffirait d’avoir conscience pour changer la réalité. Or si la création n’est pas une fantaisie impromptue, le dessein qu’elle poursuit est inconscient. Dieu créée en ne sachant pas ce qu’Il atend. Soit Il créée inconsciemment, soit Il créée à l’improviste.

 

Je ne compose pas parce que je ne sais pas écrire. Dieu n’a pas mes infirmités, mais Il créée par la Parole que l’Écriture ne fait que relater. La relation est une leçon. Et ce que la Parole créée est indéniable. Toute maison de parole est indestructible. On n’y vit pas dans le vide.


 

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