Je n'aime pas beaucoup la veine
opératique de Jules Massenet, mais Les
souffrances du jene werther est "le seul livre que j'aurais
voulu écrire". Quand je l'ai lu vers l'âge de 18 ans, j'ai pu enfin
répondre à cette question absurde qu'un manuel scolaire nous posait quand
j'étais en sixième: "Quel est le livre que vous auriez voulu écrire?"
(Question presque aussi absurde que ce sujet de dissertation historique qui
nous avait été proposé à l'entrée en troisième: "La Révolution aurait-elle
pu être évitée?" Je dis que ce dernier sujet était absurde sur la foi de notre
prof d'histoire, Alain Monteagle, qui en fit l'aveu lorsqu'il le corrigea, mais
je n'ai jamais été convaincu de son absurdité).
J'aurais voulu
avoir le piétisme de werther, ce piétisme si protestantet et si germanique
-deux épithètes que je ne trouve pas avantageux d'ordinaire-, qui identifie
Dieu à la nature. Et en même temps, je comprends que ce piétisme ait mené le
héros goethéen, non pas au romantisme, mais
au suicide.
Car quelque
chose manque à la nature pour atteindre l'idéal, quelque chose qu'on peut
résumer en une question: au-delà des spectacles tonitruants ou bucoliques que
nous offre la nature, pourquoi a-t-elle créé la chaîne alimentaire?
Baudelaire, qui
était aussi misogyne qu'il était antisémite, et qui n'aimait pas les femmes
pour s'être trop tôt blotti dans les fourrures d'une mère plus femme que mère,
disait que "la femme est naturelle, c'est-à-dire abominable", phrase
terrible, paradoxale étant émise par un poète qui regrettait le côté artificiel
de sa mère, par lequel elle lui échappait,
mais vraie sur ce seul point, que c'est la femme qui, pour l'enfant,
identifie Dieu à la nature, au risque de le manger comme l'enfant se
nourrissait de tout ce qu'elle ingérait pendant qu'il poussait dans son ventre
et qu'il était en gestation. La
spontanéité de l'enfant est reconnaissante de ce que sa mère le confie à la
nature et lui donne la nature pour dieu. Mais s'éveille aussitôt une terrible
méfiance: "Ma mère veut me manger, elle jouera auprès de moi le rôle de
Saturne. Ma mère est heideggerienne, elle m'a enfanté pour que je sois un être pour
la mort".
Il n'y a que
dans la culture germanique qu'une folie morbide du type de cette pensée heidegerienne
a pu germer, sur ce point je suis d’accord avec Jankélévitch.
Mais une mère
doit rendre son enfant à l'idéal qui est le sien, et non le donner au dieu de
la nature, pas plus que’lle ne doit lui assigner la nature pour dieu. Faute de
le rendre à l'idéal, elle va le manger tout cru. Elle va commettre la
transgression saturnienne, après que Jocaste s'est immédiatement pardonnée
d'avoir commis la transgression oedipienne de l'inceste, suppliant Œdipe, à qui
Tirésias vient de le révéler, de ne pas
chercher à en savoir plus puisque la mère et le fils étaient de bons amants – la
pièce de Sophocle est à peinemoins explicite -.
Une mère doit
toujours rendre son enfant à l'idéal qu’il a choisi, sous peine de le manger et
d’être une abomination pour son enfant, cet idéal de son enfant serait-il
destructeur aux yeux de sa mère.
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