vendredi 16 février 2018

Werther et ma mère saturnienne


Je n'aime pas beaucoup la veine opératique de Jules Massenet, mais Les souffrances du jene werther est "le seul livre que j'aurais voulu écrire". Quand je l'ai lu vers l'âge de 18 ans, j'ai pu enfin répondre à cette question absurde qu'un manuel scolaire nous posait quand j'étais en sixième: "Quel est le livre que vous auriez voulu écrire?" (Question presque aussi absurde que ce sujet de dissertation historique qui nous avait été proposé à l'entrée en troisième: "La Révolution aurait-elle pu être évitée?" Je dis que ce dernier sujet était absurde sur la foi de notre prof d'histoire, Alain Monteagle, qui en fit l'aveu lorsqu'il le corrigea, mais je n'ai jamais été convaincu de son absurdité).

 

J'aurais voulu avoir le piétisme de werther, ce piétisme si protestantet et si germanique -deux épithètes que je ne trouve pas avantageux d'ordinaire-, qui identifie Dieu à la nature. Et en même temps, je comprends que ce piétisme ait mené le héros goethéen, non pas au romantisme, mais  au suicide.

 

Car quelque chose manque à la nature pour atteindre l'idéal, quelque chose qu'on peut résumer en une question: au-delà des spectacles tonitruants ou bucoliques que nous offre la nature, pourquoi a-t-elle créé la chaîne alimentaire?

 

Baudelaire, qui était aussi misogyne qu'il était antisémite, et qui n'aimait pas les femmes pour s'être trop tôt blotti dans les fourrures d'une mère plus femme que mère, disait que "la femme est naturelle, c'est-à-dire abominable", phrase terrible, paradoxale étant émise par un poète qui regrettait le côté artificiel de sa mère, par lequel elle lui échappait,  mais vraie sur ce seul point, que c'est la femme qui, pour l'enfant, identifie Dieu à la nature, au risque de le manger comme l'enfant se nourrissait de tout ce qu'elle ingérait pendant qu'il poussait dans son ventre et qu'il était en gestation.  La spontanéité de l'enfant est reconnaissante de ce que sa mère le confie à la nature et lui donne la nature pour dieu. Mais s'éveille aussitôt une terrible méfiance: "Ma mère veut me manger, elle jouera auprès de moi le rôle de Saturne. Ma mère est heideggerienne, elle m'a enfanté pour que je sois un être pour la mort".

 

Il n'y a que dans la culture germanique qu'une folie morbide du type de cette pensée heidegerienne a pu germer, sur ce point je suis d’accord avec Jankélévitch.

 

Mais une mère doit rendre son enfant à l'idéal qui est le sien, et non le donner au dieu de la nature, pas plus que’lle ne doit lui assigner la nature pour dieu. Faute de le rendre à l'idéal, elle va le manger tout cru. Elle va commettre la transgression saturnienne, après que Jocaste s'est immédiatement pardonnée d'avoir commis la transgression oedipienne de l'inceste, suppliant Œdipe, à qui Tirésias vient de le révéler,  de ne pas chercher à en savoir plus puisque la mère et le fils étaient de bons amants – la pièce de Sophocle est à peinemoins explicite -.

 

Une mère doit toujours rendre son enfant à l'idéal qu’il a choisi, sous peine de le manger et d’être une abomination pour son enfant, cet idéal de son enfant serait-il destructeur aux yeux de sa mère.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire