jeudi 1 janvier 2015

J'interromps provisoirement la progression que je m'étais proposée pour ce journal idéatif et je publie ce soir une interrogation sur des réseaux de signes ou d'idées avec lesquelles je m'étonne de m'être rencontré. Je sors d'un coup de fil avec Catherine (Benoîte du métablog, soit dit pour l'appareil critique, on ne sait jamais !) Ce qui m'a toujours intéressé dans ma vie est moins d'avoir été éclaboussé par ceux qui participaient aux événements au cœur desquels je me trouvais en position d'observateur, que de comprendre au cœur de quel faisceau de significations je me trouvais et en quoi ce faisceau de significations constituait "en temps réel" ou dans l'histoire immédiate l'épistémè dans laquelle le monde fait sens, de manière à être compris des gens qui en vivent l'histoire. (Je me place ici en contradiction de la citation célèbre ouvrant le livre de guillebaud, La tyrannie du plaisir : "Les sociétés humaines comprennent rarement l'histoire qu'elles vivent.") Dans mon colimateur sensoriel, deux réseaux de signification : 1. Pour avoir lu l'avant-présentation par l'abbé de tanoüarn du prochain livre de Houellebecq, dont c'est peu dire que je ne trouve pas qu'il ait un "style somptueux", je me prends à rêver qu'il ait lu mon blog et ma correspondance avec le Croissant de lune. (Hier soir, pendant ses vœux, Hollande n'a pas promis qu'il irait nous chercher la lune de la Croissance à défaut, comme le voudrait ce dernier, que la France épouse certaines des causes du croissant de lune). Pourquoi Houellebecq aurait-il lu mon blog ou le Croissant de lune - étant entendu qu'on peut être happé par ses propres champs magnétiques dans les mêmes réseaux de signification - ?Pour trois raisons : a) Parce qu'il y prédit exactement ce que le Croissant de lune a toujours affirmé, même si ce n'est pas mot pour mot et si le Croissant n'a jamais donné de date : en 2022, un Président d'origine musulmane viendrait mettre fin à l'alternative du message fort de Marine le Pen et du vide de l'UMPS. La France vindrait construire une union nationale contre le Front national et son nationalisme xénophobe. b) Dans lescénario de Houellebecq, François Bayrou dirigerait le gouvernement d'union nationalede ce Président d'origine musulmane. Le croissant de lune avait voté pour François Bayrou en 2012, le considérant comme à la fois le candidat le moins inamical et le plus économiquement raisonnable au point de vue français. c) Houellebecq prédit tout cela (ou en fait le pari romanesque) depuis le "nihilisme européen". C'est ce qui fait que l'universitaire athée, son héros, va se convertir à l'islam parce que c'est une religion non prospective, la religion la plus simple selon le croissant de lune, ce qui la rendait "la plus con du monde" d'après Houellebecq. L'islam est une religion dont la simplicité cache qu'elle donne un nom au dieu des philosophes, mais passons. Il n'est pas indifférent pour le romancier que grâce à cette conversion le professeur d'université puisse accéder au libertinage légalisé de la polygamie. Une déchéance pour l'abbé de Tanoüarn, commentateur du livre, sous prétexte que l'Occident aurait inventé un amour qui irait "au-delà du désir et de la satisfaction." Je trouve toujours un peu facile qu'on se célèbre en dézinguant les autres. Autocélébration occidentale comme civilisation innervée par la religion de la sublimation. En vis-à-vis, les islamistes s'élèvent des statues au peuple pur contre la décadence des croisés omnivores. Mais Houellebecq parle encore depuis le nihilisme européen parce qu'il en est lui-même un pur produit. Sa vie s'émousse dans la désillusion ou la dénonciation des illusions sans idéal. Le cas Houellebecq est donc symptomatique de ce que le Croissant de lune énonçait dans ce dilemme : "l'islam ou le non sens."Je continue de trouver que ce dilemme est mal posé. L'islam voudrait piquer à la religion du verbe le monopole du sens. Certes, nous n'avons pas ce monopole, autant qu'il est absurde de poser les différences religieuses en termes de monopole. Du moins le Logos se pose-t-il dans le prologue de Saint-Jean, non seulement comme la Parole créatrice, mais comme la Parole qui contient la Raison du monde. Comme la Parole à laquelle serait intérieure la Lumière de la Vie, de "la vie qui était la lumière des hommes." Le drame du Logos et du monde, c'est que le verbe est venu chez les siens et qu'Ils ne l'ont pas reconnu. De sorte qu'aujourd'hui, la Lumière de la vie qui éclairait tout homme venant dans le monde s'est exilée à l'intérieur du Logos non reconnu par le monde. La rédemption du monde consistera en cette reconnaissance. Par où il s'explique que mon correspondant le Croissant de lune préférait parler de "parole efficace" que de "parole créatrice" Et ne croyait pas que l'islam pouvait réconcilier le monde avec le sens de la vie. Il le brandissait seulement comme une alternative à la déréalisation des vies contemporaines et aurait mieux formulé son dilemme en parlant de "l'islam contre le nihilisme". 2. Si jene veux pas perdre mon CAPES, je dois rendre assez rapidement un petit mémoire sur Jeanne d'Arc. J'ai proposé un sujet qui comparerait la parole de Michelet sur la sainte et la représentation qu'en donne Jean-Marie le Pen. Je précise que le croissant de lune vénérait jeanne d'Arc, la sainte de la France, dont il reçut en songe un appel à la conversion auquel il voulait bien répondre à condition que la sainte s'engage à obtenir que la France épouse certaines causes de la nation des musulmans.Le Croissant de lune aimait Jeanne d'Arc comme il aimait Robespierre. Je ne suis pas très avancé dans ce mémoire, mais j'essaie d'en lire lesprolégomènes ou les textes de première main. Pourtout dire, j'en suis à Michelet. Michelet pense que Jeanne d'Arc est une émanation du peuple. Elle aurait permis à la France de réaliser l'imitation de jésus-christ que Michelet considère comme le sursaut contre la fin de l'histoire de l'époque, malgré l'illusion de résignation qui émane de ce livre de vie et de dévotion puissante. Je découvre ce que Michelet pense de Jeanne d'Arc au moment où les populismes constituent les seules propositions politiques un peu fécondantes face aux fatalismes des : "Il n'y a pas d'autre politique possible", qui poussent l'Europe et le monde dans l'austérité générale ou dans ce que le pape François appellerait "la mondialisation de l'indifférence". (Son prédécesseur aimait mieux parler de "la dictature du relativisme". Dans les deux cas, l'hérésie morale est constituée d'un déterminant totalisant et d'un complément de détermination encore plus absolu). Politiquement, Marine le Pen ou Jean-Luc Mélanchon refont du peuple un sujet historique. Pour la première, le peuple se substitue assez sensiblement à ce qu'il signifiait pour son père, un agent de la souveraineté, la souveraineté étant la fin de la nation. De manière générale, la nation tend à cesser d'être le sujet politique majeur au profit du peuple. Jean-Luc Mélanchon conglomère le peuple comme une grande connexion urbaine de besoins à la conquête d'un territoire et de la souveraineté qu'il doit exercer sur ce territoire. C'est ce qu'il appelle "l'ère du peuple", dans la plus pure tradition du Contrat social. Cette constitution du peuple comme entité de hasard rassemblée par une communauté de besoins participe beaucoup de l'impuissance de la proposition mélanchoniste. Il n'y a pas que la personnalité de Mélanchon qui fait écran à notre besoin de vraie gauche, il y a aussi que l'humanisme de hasard au moyen duquel se constituerait le peuple selon lui donne à penser qu'il n'y croit pas. Quand on ajoute à cela que Mélanchon inscrit toute son action politique dans "l'éducation populaire", on conclut que c'est une posture et que Mélanchon est un démagogue. Le pape actuel semble se trouver au point d'intersection romain des Français laïcs Jean-Luc Mélanchon et Marine le Pen. Comme Mélanchon, il paraît être un démagogue. Il paraît miser sur le levier de "la piété populaire" (comme Michelet avec Jeanne d'Arc) dont il adopte les dévotions sans y croire lui-même. Par exemple, il a raconté s'être mis à réciter le rosaire le jour où il a vu quelle déferlante de piété populaire a suscité cette dévotion quand le peuple regardait Jean-Paul II réciter le rosaire à Lourdes. Il ne s'est pas senti intérieurement dans la nécessité de prier le rosaire, il l'a fait par imitation populaire… De même que sa vocation de prêtre a été de seconde main par rapport à un amour qui l'intéressait davantage et dont les versions divergent s'il s'en est détourné pour devenir prêtre ou s'il est devenu prêtre parce que son amour s'est détourné de lui. La vocation de françois manque de racines, ou plonge ses racines dans la piété populaire. Il semble davantage s'être fait prêtre pour un peuple que pour accomplir une destinée individuelle. Rappelons que le cardinal Bergoglio a toujours été un péroniste. Mais voici que son populisme d'Etat deviendrait un populisme d'Eglise. François ne vit pas le concile de la manière naïvement éclésiocentrique dont le vivaient ses prédécesseurs. Mais il fonde les espérances ou les craintes (que je n'avais jamais comprises avant lui) qu'exprimaient partisans et adversaires du concile sur ce point capital que l'Eglise serait devenue "peuple de Dieu". François veut faire du "peuple de Dieu" un sujet religieux comme Marine le Pen veut en faire un sujet politique. Il veut échanger son infaillibilité contre celle du sensus fidei du Peuple de dieu. 3. Que signifient ces changements ? Ce n'est pas tout de les repérer, c'est un peu plus utile de les signaler, mais ce serait encore mieux de les comprendre. Les signes me fascinent, mais je ne comprends pas la langue des signes. Comme nous nous interrogions là-dessus avec benoîte, elle suggéra que cette étape était nécessaire pour rendre son livre d'histoire au Peuple Elu. En temps normal, j'en aurais déduit une ingratitude antijuive qui m'aurait repoussé comme une vierge effarouchée. Pas aujourd'hui. J'entends qu'il nous faut sortir par l'Esprit de l'histoire et rendre l'histoire à ceux qui font l'histoire. Benoîte est persuadée que le temps s'accélère et que l'Eglise a voulu conduire par l'Histoire . les juifs au salut en insérant leur "livre d'histoire" dans le canon des livres du salut. Je ne suis pas marsionite et je crois qu'il existe un lien consubstantiel entre l'Histoire et le salut comme entre la chair et l'Esprit. Mais je reçois l'objection que nous ne nous configurons pas assez à l'universalité des patriarches qui sont autant d'archétypes humains et que tous les personnages de l'Ancien Testament ne présentent pas ce caractère d'universalité. La preuve en est que l'Israël laïque continue l'histoire de l'Israël biblique et est probablement embarquédans une guerre de huit cents ans si la communauté internationale n'y porte pas remède d'une façon ou d'une autre. J'ai aussi la conviction personnelle que les juifs ont investi l'histoire séculière. Le marxisme est un contremessianisme où se réalise la fraternité des juifs avec le genre humain, et le freudisme est un contre-référentiel mythologique, théorique ou doctrinal qui constitue une alternative noachique de réconciliation psychologique, ou de l'individu avec la société, à l'Alliance d'élection monastique que le peuple élu et messianique croit avoir contractée au nom de l'humanité avec le dieu unique, mais qui est la fin de tout homme, et son adhésion personnelle à la vie qui lui fut donnée. Le Christ a introduit dans le monde plus qu'un prolongement de l'histoire d'Israël. Christianisme et judaïsme ne sont pas substituables, comme on le dit pour arrondir les angles du dialogue entre juifs et chrétiens. Nous ne sommes pas ou nous ne sommes plus des judéo-chrétiens.

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