jeudi 4 mars 2010

Le repas

Jean-Pierre, Jésus, Gérard… Peut-on tracer une ligne de conciliation entre ces trois figures dont deux au moins sont ouvertement séparatistes, tandis que l'image de celle qui est ici nommé au milieu, si elle n'est pas sans poser ses conditions duelles, apparaît du moins comme médiatrice, a cette image dans l'appréhension mentale que nous en avons collectivement ?

Gérard m'a invité à maints repas, mais il a, selon ses dires, c'est-à-dire à tout le moins selon son fantasme et son vouloir, assassiné et sacrifié quelqu'un pour le simple motif, non pas qu'il était juif, mais qu'il était "pédé" et qu'après que Gérard et son copain lui eurent donné le coup de poing (car à l'époque, on aimait le coup de poing et Gérard, en le disant, imitait le bruit que faisaient les coups qui pleuvaient comme mon père rêvait de se bagarrer… dans ces années fastes, on aimait le coup de poing, la vitesse et l'argent, on avait le goût d'entreprendre…), le gars avait crié :
"Maman !"
C'avait énervé Gérard et son copain qui étaient allés le dire aux flics. Mais comme les flics n'avaient rien fait (qu'auraient-ils dû faire ?), ils l'avaient égorgé tout simplement, il ne fallait pas chercher plus loin, il n'y avait pas mal à ça !

Gérard était un sacrificateur. Le pasteur qui avait donné à Thérèse un autre point de vue sur la pureté lui avait aussi, le même soir, inculqué un nouveau regard sur l'aspect sacrificiel qui semble à première vue lié à toute idée, à tout instinct religieux : il était parti du lieu commun, commode à résoudre "le scandale de la Passion du Christ", qu'il n'était pas possible que Jésus Fût né pour Etre Sacrifié, mais que le but qu'Il avait Poursuivi en s'incarnant avait été l'Eucharistie, la Cène, une manière de résoudre l'abandon de la chair obligée à la chaîne alimentaire, mais plus que cela au vrai, plus qu'une manière de résoudre le tragique de l'énigme humaine… Ce qui prouvait cette interprétation selon ce pasteur, était que, dans le judaïsme (qu'on pourrait très bien à cet égard envisager comme le modèle, l'universel de toutes les religions), le sacrifice ne poursuivait pas sa propre fin : il n'était que l'aspect superficiel sous lequel était suscité le début d'une relation humanodivine : il n'était qu'une invitation à un repas.... La fin de cette relation était les agapes que l'homme et Dieu pourraient partager de convivence.

Ce qu'on faisait de la part réservée à dieu après le sacrifice m'avait toujours paru à la fois risible et mystérieux (mais cela était tout aussi vrai de la part qu'on préparait pour les ancêtres lors des repas vietnamiens destinés à honorer leur mémoire). Je m'étais toujours figuré qu'un gros malin s'étant aperçu quelque jour, un peu comme dans la blague juive où les pièces que le rabbin envoie en l'air n'y restent pas, signe que Dieu n'en veut pas, qu'il en allait de même de la part que Lui et les ancêtres ne mangeaient pas, avait pris l'habitude de s'en empiffrer, ni vu, ni connu. Mais Thérèse devait me détromper :
"La part réservée à Dieu et à laquelle bien sûr, Il ne touchait pas, était brûlée, s'en allait en fumée, montait en prière, mais la fin du sacrifice n'en était pas moins assouvie, que l'homme et dieu fissent bonne chère de connivence…", me dit-elle.

gérard m'avait invité à maints repas : son défaut était d'être un sacrificateur. Et, pour autant qu'il faille conserver un pieux respect pour le sacrifice en lui-même, le moindre défaut de Gérard eût été de se constituer son propre sacrificateur, mais il voulait sacrifier les autres sans leur demander leur avis, un peu comme les auteurs des attentats suicide, en qui se manifeste la différence du martyre chrétien au martyre musulman, le premier semblant prouver que le sacrifice du christ n'aurait pas suffi une fois pour toutes puisqu'il n'avait pas épuisé la soif de sang de la terre sans préjuger de Sa valeur rédemptrice au point de vue cosmique, et le second martyre signifiant à ceux dont il prend la vie en même temps qu'il donne la sienne :
"vous pouvez bien mourir puisque je me tue !"

gérard m'invitait, mais voulait sacrifier du gibier humain : je l'ai toujours un peu pris pour le diable… Lorsqu'il m'arrivait d'aller prier pour lui chez les bénédictines de Jouarre, je me demandais en mon for intérieur si j'avais le droit de le fréquenter. Or - et pas seulement par faiblesse -, dominant mes scrupules, m'a toujours habité la conviction qu'on peut dîner avec n'importe qui sans voir la queue de la fourchette du diable, qu'il n'y a pas de mauvaise fréquentation puisqu'il n'y a pas d'homme indigne de vivre…

Il est évident que, pour moi, la crainte d'être idolâtre remplaçant celle d'être possédé, a transféré l'angoisse qui rend ma prière vulnérable et, par là, capable d'amour. Elle l'a transférée, humanisée et rendue plus mature. Anorexique qui ai simplement retrouvé l'appétit, je me trouve désarmé qu'il échappe à mon contrôle d'être une simple hantise. Il est pourtant plus mature d'avoir peur de se placer sous la dépendance de la substance d'une chose matérielle que dans la hantise d'une entité de laquelle on voudrait se prémunir. Car, derrière cet instinct de conservation et protection, il n'y a pas seulement de l'immaturité, il y a de l'égoïsme : on ne veut pas être hanté d'une entité, c'est-à-dire qu'on estime que le "moi" est une maison close, qu'on ne veut pas ouvrir à tout vent de risque et de péril… On ne peut pas avoir "la maîtrise de soi, mais on peut viser à acquérir la maîtrise des choses, l'usage du monde !

On a beaucoup fait grief au christianisme d'avoir inventé le diable pour tenir les gens en haleine, voire en apné existentielle. Je crois pour ma part que, si le christianisme en a rajouté sur le diable et sur la dualité entre le bien et le mal, non seulement il ne l'a pas inventée comme on sait puisqu'elle est, certes marginalement, mais présente dans le livre de Job : le christianisme, en outre, a fait la transposition inverse de celle dont ma prière a cru faire un progrès spirituel. Dès lors que le christianisme posait que Dieu pouvait être mêlé à de l'impur et que l'idolâtrie ne se situait pas à ce niveau, il devait tout de même restituer la balance très nette que l'Ancien Testament dont il était issu, faisait entre l'unique objet d'adoration que devait être Dieu et l'abomination qui commençait dès qu'on sortait de Sa juridiction et du désir de sa bénédiction. La façon dont le christianisme a inventé de faire cette transposition a été de simplifier le problème de la dualité entre dieu et tout ce qui ne l'était pas. Le diable est né de là, comme une condensation de tout ce manque à être qui est de l'être déprécié. Le diable est de l'être qui s'est déprécié et qui déprécie moins ce qu'il touche que ce qui lui donne du prix. Mais, pour être la condensation de tout ce qui va contre dieu, le diable n'est pas un contredieu parce qu'au principe et en principe, pour Dieu, il n'y a rien d'impur, il n'y a rien qui puisse aller contre sans son aval. Le mal ne commence qu'à partir du moment où l'homme veut obliger Dieu à se positionner et à partager avec lui le mets du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal que certes, Dieu Connaît en Puissance, mais Dieu ne veut pas entrer dans l'acte de cette connaissance, dans cette Volonté de Connaître, dans les catégories de la qualification. Dieu ne veut pas être qualifiant. Dieu donne de la substance en proposant à l'homme de déterminer le substantif. Ainsi fait-Il quand Il observe comment l'homme va nommer les choses qu'Il lui a données. Mais autant Dieu est Intéressé à produire de la qualité substantielle, autant l'homme ne veut rien tant que qualifier cette substance. Il veut affubler de l'adjectif le nom que Dieu lui a donné. Le diable n'est donc pas une invention de dieu, il ne peut donc pas être un antidieu : le diable est une invention de la volonté de juger de l'homme, c'est la quatrième personne du singulier, celle qui s'érige en instance critique au-delà du neutre objectif qui suivait lui-même la conscience subjective parlant au "moi". La quatrième personne du singulier, celle qui défraye la finalité ternaire de la personne humaine ancrée dans l'objectivité et comme en amitié avec elle-même à travers cet ancrage, celle qui déchaîne la zizanie en activant l'indéfini réseau des raisons et des torts, voilà ce qu'est le diable. Dieu est symbolique et le diable est critique. .

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire